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  • Photo du rédacteurMaurice Amaraggi

Joseph Lovinger. La Grèce comme terre d'asile.

Dernière mise à jour : 8 mars 2021



En travaillant sur le récit de l’organisation juridique de l’impunité des criminels de guerre nazis en Grèce j’ai découvert une personnalité dont je n’avais pas entendu parler. La consonance de son nom me faisait penser au monde ashkénaze plutôt qu’à celui des sépharades ou des romaniotes. Joseph Lovinger qui fut un des présidents du KIS (le conseil central des communauté juives en Grèce) était en fait originaire de Hongrie. Son fils Andreas Lovinger, qui voue une grande admiration à son père me raconta son histoire très particulière.


Lorsque en 1933 Hitler arrive au pouvoir en Allemagne, Joseph Lovinger a dix-neuf ans, il vient de terminer ses études secondaires. Il a le pressentiment que la guerre éclatera et que rien de bon n’est à attendre de ce régime qui affiche un antisémitisme virulent. Le régime hongrois sous la férule de Miklos Horthy est favorable à l’Allemagne et adopte des mesures de plus en plus contraignantes pour les 800.000 Juifs du pays, allant de l’interdiction de la pratique de certains métiers à celle des mariages mixtes et à l’annulation des conversions chrétiennes.


Joseph Lovinger, enfant, devant le magasin de son père en Hongrie


Joseph Lovinger décide de quitter le pays. Il a un cousin qui a été mandaté par une entreprise hongroise pour faire des travaux forestiers en Grèce. Il va le rejoindre. La Grèce à cette époque connaît des soubresauts politiques qui voient la république faire place à la royauté et à l’arrivée de Ioannis Metaxas. Celui-ci suspend le parlement avec l’accord du roi et instaure un régime dans la ligne des régimes forts et de droite de l’époque. Lovinger se plait en Grèce, il crée à Athènes une entreprise qui vend des meubles. Il apprend donc à lire et à écrire le grec. C’est un homme religieux, il fréquente tous les vendredis la synagogue et noue des contacts cordiaux avec la communauté locale. Il est également très impliqués dans le soutien à tous ceux qui essayent d’échapper au régime nazi qui après l’Anschluss s’étend à l’Autriche. Les frontières d’Europe se ferment de plus en plus mais la Grèce reste encore un pays où il est possible d’entrer, pour ensuite gagner d’autres horizons. Celle qui deviendra sa femme arrive ainsi à Athènes. Elle fait partie d’une famille de quatre filles qui pendant une très courte période pendant laquelle il fut possible de sortir d’Autriche a pu obtenir un visa pour la Grèce. Sa famille est ainsi dispersée, une des sœurs a pu obtenir un visa pour la France, une autre pour la Grande Bretagne où elle travaillera comme domestique. Son mari bénéficie d’un visa pour Shanghai. La dernière sœur part pour le Brésil. Dans leur malheur elles eurent de la chance.



La photo de mariage de Joseph et Berta Lovinger, en 1943 sous l'occupation.


C’est pendant ces années d’activisme que Joseph Lovinger se liera avec trois personnalités qu’il fera reconnaître comme Justes parmi les Nations. Dimitrios Vlastaris, le directeur en charge de l’enregistrement des réfugiés au Ministère des Affaires Etrangères accorda de nombreux visas de résidence ainsi que des passeports grecs attestant de l’appartenance à la religion orthodoxe afin de permettre le départ, après la défaite française, vers des pays neutres comme le Portugal. Emmanuel Kothris et Sotiris Papastratis furent des dirigeants de la résistance et permirent, plus tard, l’évasion de Joseph Lovinger et de sa femme vers la Palestine, en empruntant la voie maritime vers Eubée, Cesmé et Izmir, celle décrite dans l’histoire d’Isaac Yossif.

Andreas Lovinger décrit son père comme étant un homme d’une grande générosité et très courageux. Il raconte l’histoire de ses deux arrestations et celle de son évasion.

Il fut une première fois détenu par les forces d’occupation italienne, pour avoir écrit des pamphlets contre Mussolini. Lovinger semble avoir gardé un excellent souvenir de son séjour dans les prisons italiennes. La nourriture était bonne e tles détenus étaient traités avec courtoisie. Il fit pendant ses mois derrière les barreaux connaissance d'un autre détenu, Georges Papandreou ,qu’il rencontrera plus tard lorsqu'il sera premier ministre.

Par la suite, lorsque Athènes passe sous contrôle allemand, son passeport hongrois ne le protège pas.. Suite à une dénonciation une rafle fut organisée. Il fut arrêté pour être conduit à la synagogue d’Athènes où se faisait le recensement des Juifs de la ville. Sa femme était censée le rejoindre le lendemain. En l’étreignant il lui murmura à l’oreille de n’en rien faire et de fuir immédiatement.


Fausse carte d'identité de l'épouse de Joseph Lovinger.


A la synagogue, les policiers se rendirent compte qu’il parlait allemand et il fut chargé de traduire les consignes et données à ceux qui étaient déjà là et dont le nombre croissait sans cesse. Le second jour, en fin de matinée, il approcha l’officier qui avait pris la relève et lui demanda de pouvoir prendre quelques minutes de repos à l’extérieur étant donné qu’il avait travaillé toute la nuit. Le policier lui accorda cette permission pensant sans doute qu’il faisait parties des assistants collaborateurs. Une fois hors de la synagogue, Joseph Lovinger partit se réfugier chez des amis liés à la résistance. Il ne savait pas ce qui était advenu de sa femme. La cache changeait tous les deux ou trois semaines pour réduire le risque de ceux qui l’abritaient. Le hasard fit que dans une de ces celles-ci il retrouva sa femme qui s’y trouvait déjà. La suite est celle de son évasion de Grèce. Joseph Lovinger travailla pour la Croix Rouge grecque à Haïfa jusqu’à son retour en Grèce après la guerre.


Il reprit ses activités communautaires d’abord au niveau d’Athènes et ensuite de la Grèce. Ses années de guerre lui permirent d’entrer en contact avec de nombreux hommes politiques qui allaient tous être au pouvoir. La préoccupation primordiale dans les premières décennies fut celles de la reconstruction. La traque des criminels de guerre ne figurait pas à l’agenda des dirigeants de l’époque. C’est la candidature de Kurt Waldheim qui initia les demandes de justice et de réparation en Grèce. Comme on le sait elles restèrent lettres mortes malgré les efforts incessants de Joseph Lovinger et de ceux qui lui succédèrent.



Kurt Waldheim. Officier du renseignement en Grèce et plus tard, secrétaire Général des Nations Unies.





Il est curieux et exceptionnel de voir ainsi à plusieurs années de distance, comment l’histoire contemporaine des Juifs de Grèce a été marquée par deux personnalités originaires d’Europe de l’Est, sans lien avec les communautés romaniotes ou sépharades, le rabbin Koretz et Joseph Lovinger, dans des rôles, des options et des époques très différents.

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