Je sauvegarde actuellement les repérages qui m’ont permis de préparer mon film sur Salonique en 2006. Ils sont riches de séquences et de témoignages sur la vie dans la ville et sur les stratégies de survie lorsque le processus de déportation des Juifs de la ville se mit en place. Ces récits ne s’intégraient pas dans le projet du film mais ils trouvent toute leur place dans la collecte des mémoires des survivants.
Peppo Matalon était un homme charmant, d’un grand humour et un bon vivant. Il m’a énormément aidé dans la préparation de mon projet. Je regrette de ne pas l’avoir filmé davantage. Il avait gardé une mémoire intacte de la vie à Salonique avant la guerre.
Joseph Hassid émigra à Bruxelles. C’ était un ami de ma famille. Je l’ai interviewé dans son appartement avenue Brugmann. C’était un homme d’une grande gentillesse. Il était le seul survivant d’une famille qui comptait plus de cent membres. Retrouver Salonique après la guerre lui fut pénible. Son père avait une fabrique de savon qui fut détruite pendant l’occupation. Il parvint à récupérer le terrain.
La fuite par chemin de fer.
Les deux récits illustrent l’une des filières utilisées pour quitter la ville. Un réseau a dû se constituer autour des cheminots qui conduisaient les trains entre les zones italienne et allemande. Les témoins divergent sur la nationalité des cheminots. Pour Monsieur Matalon, il s’agit d’un conducteur de train de marchandise allemand, Monsieur Hassid lui, fait mention d’un cheminot grec, ce qui me semble plus plausible.
Il ne devrait pas être trop difficile de retrouver les traces de ceux qui conduisaient les trains à cette époque sur les lignes entre Salonique et la zone italienne pour tenter de reconstituer l’organisation de l’époque. Entre les cheminots et ceux qui souhaitent partir, il doit y avoir des intermédiaires qui sont eux-mêmes intéressés au profit qu’ils peuvent tirer de cette activité. Qui sont-ils et comment font-ils connaître leur service ?
Il semble qu’aucune étude n’ait été faite sur les membres de cette organisation. Il ne s’agissait pas d’un réseau altruiste ou politique, mais plutôt d’un groupe de passeurs qui comprirent le bénéfice qu’ils pouvaient tirer des circonstances. Néanmoins, ils représentaient une chance de survie pour ceux qui faisaient appel à eux.
Le départ est organisé avec l’aide d’un passeur. C’est lui qui s’occupera des bagages.
Il faut se rappeler qu’à l’époque tout se paye en livre or. Quel est le prix d’un passage ? Combien de personnes purent partir de cette façon ? Une étude sur l’implication des cheminots, tant dans la résistance que dans la collaboration reste à mener. De même on peut se demander si la compagnie des chemins de fer grecque a tiré profit des convois de déportation. Ce travail a été fait pour la SNCF en France. On peut supposer que les modalités étaient similaires. C’est par les cheminots que la réalité des camps de concentration se répand dans les pays occupés. Ils assistent au débarquement sur la rampe d’Auschwitz. Schlomo Venzia en fait mention dans ses mémoires.
Ce sont essentiellement des hommes qui empruntent cette voie. Le récit de Joseph Hassid est clair à ce sujet. Il enjoint ses parents et ses sœurs de partir après ce qu’il a vu dans le ghetto de Hirsh, le rassemblement des populations avant leur départ pour la Pologne, mais les jeunes femmes décident de rester avec leurs père, mère et grand-mère pour les assister, ce qui leur sera fatal. La famille a donc connaissance d’une filière de salut, mais les difficultés de la fuite lui paraissent plus grandes que celles qu’elles entrevoient dans la déportation. La destruction des Juifs d’Europe a donc essentiellement été celle des personnes âgées, des femmes et des enfants.
A la fin du repérage à la gare, les cheminots nous ont invité à partager leur déjeuner. C’est un des meilleurs repas que j’ai pris en Grèce et Monsieur Matalon l’a beaucoup apprécié aussi. Le rush est sans son. Ce fut un moment de gaieté après l’évocation d’un moment douloureux.
APPEL A TEMOIGNAGES
Il me semble intéressant de collecter des mémoires et des récits qui permettraient de mieux cerner les acteurs de cette filière d'évasion, de mieux comprendre comment, au niveau individuels les Juifs Saloniciens se sont organisés pour essayer de fuir le danger qu'ils commençaient à percevoir. Si vous avez connaissance d’images, de textes, de documents de témoignages, je vous serais reconnaissant de me les signaler ?
Quel plaisir d'entendre cet accent typique des juifs de Salonique ! Ma grand-mère maternelle Lucie Matalon épouse Amariglio avait le même, un français chantant qu'il me plait à réentendre. Merci