Première partie: l'occupation
Jean Liberg à la gauche du Prince Carl de Suède avant le départ de sa mission en Grèce en janvier 1944
Salonique est une des villes d’Europe où l’occupation nazie est la moins documentée. Ce fut donc avec un très vif plaisir que j’ai découvert dans une des magnifiques librairies de la ville ce petit livre au format A4 dont le titre est : « Thessaloniki 1944, Photographic documents by Jean Lieberg ». La recherche d’archives réveille les souvenirs d’enfance. C’est chaque fois un trésor qu’on exhume. Lors d’un déménagement, le fils de Jean Lieberg, représentant de la Croix Rouge suédoise en mission à Salonique, découvrit une vieille valise ayant appartenu à son père. Elle contenait le rapport qu’il avait rédigé à la fin de sa mission. L’auteur était aussi un bon photographe. Il prit beaucoup de clichés de la ville et de ses habitants pendant son séjour qui coïncida avec la fin de l’occupation et les premières semaines de la libération de la ville. Il eut donc à faire avec, à la fois, les autorités allemandes, les résistants revenus dans la cité et les troupes britanniques qui les suivirent. On peut deviner à ses écrits qu’il avait peu d’estime pour les partisans et le parti communiste qui remplacent les occupants. Les maquisards, lorsqu’ils entrent dans la ville sont en guenilles et, comme l’expliquait Maurice Florentin, souvent pieds nus.
Il faut sans doute expliquer brièvement les raisons de la présence de Jean Lieberg en Grèce. Lorsque l’Italie et l’Allemagne occupèrent la Grèce, la Grande Bretagne organisa un blocus total du pays. La Bulgarie pour sa part, alliée à l’Allemagne occupait les greniers à blé du nord de la Macédoine. Ainsi, soudain, la Grèce qui importait de l’extérieur la farine lui permettant de faire du pain et une partie de son alimentation, se trouva soudain confronté à une famine catastrophique qui faisait chaque jour, des morts par centaines. Le CICR essaya d’organiser un ravitaillement par la Turquie, mais il s’avéra insuffisant. Les Alliés refusaient de desserrer l’étau, les lois de la guerre forçant l’occupant à nourrir les populations sous son contrôle. La situation devenait catastrophique.
Enfants grecs photographiés pendant la famine
Carl Cederskjöld était un correspondant de guerre suédois sur place. Il publia une série d’articles très émouvants sur la situation à Athènes et Salonique dans les journaux qui l’avaient mandaté. La population suédoise fut bouleversée. Les pressions augmentèrent sur les puissances belligérantes pour permettre un ravitaillement. Cederskjöld fut informé qu’un navire de ravitaillement restait à quai en Turquie, dans l’impossibilité de franchir le blocus. Il eut l’idée d’affréter un bateau suédois, pour transporter le chargement. Ce fut le début de la première opération d’ingérence humanitaire de grande ampleur. Les Alliés acceptèrent que la Croix Rouge suédoise organise et contrôle le ravitaillement des populations, à la condition que l’occupant n’en profite pas. L’Italie exigea que le CICR soit également partie prenante. Ainsi se forma la Commission Grèce qui comportait sept délégués suisses et sept délégués suédois. Elle se mit à l’œuvre dès 1942 et s’acheva après la libération de la Grèce. C’est dans le cadre de cette opération de secours que Jean Lieberg se retrouva en 1944 en Grèce, en tant que membre de la délégation suédoise. Il faut remarquer que cette prise de conscience et cette mobilisation se passe au sein du monde orthodoxe et protestant, hors de la sphère catholique.
Le m/s Vasaholm à quai
Dès l’automne 1942 les bateaux suédois commencent un ravitaillement incessant. Les déportations de la population juive de Salonique commencent en mars 1943. Si le monde et la Croix Rouge purent se mobiliser pour contrer la famine en Grèce ils ne tentèrent presque rien pour empêcher ou contrecarrer le projet de déportation qui se déroulait sous ses yeux. Les délégués de la commission ne pouvaient pas ne pas savoir ce qui se passait.
Ainsi les protagonistes de l’intervention humanitaire sont en place. D’un côté le CICR, essentiellement et traditionnellement sous direction suisse et un de ses membres, la Croix Rouge suédoise. L’inaction et le biais idéologique du CICR ont fait l’objet d’un livre : « Une mission impossible ? » du professeur Jean-Claude Favez qui a parcouru les archives suisses (édition complétée dans la version anglaise « The Red Cross and the Holocaust »).
Pour résumer très brièvement le livre, le CICR s’est retrouvé sans cadre juridique pour assister les détenus civils et les combattants russes, l’URSS n’ayant pasadhéré à sa convention et ses statuts. Le CICR craignait que ses interventions soient jugées intempestives et l’empêchent de porter secours aux prisonniers de guerre. Par ailleurs ses dirigeants et plus particulièrement Carl J. Burckardt sont, d’une part, attachés au statut de neutralité de la Suisse et d’autre part, germanophiles. Ils croient longtemps en la victoire de l’Allemagne.
Carl J. Burckhardt. Un des dirigeants principaux du CICR pendant la guerre et président de 1945 à 1948
A Salonique, seul l’homonyme de C.J. Burckardt, René Burckardt, se bat pour obtenir le transfert des Juifs saloniciens vers la Palestine. Il n’aboutit pas, et seule une fourniture spéciale de pain, équivalente à dix jours de consommation lui est autorisée, pour ceux qui embarquent dans les wagons à bestiaux vers la Pologne. Son insistance dans la défense des Juifs de la ville insupporte les Allemands qui obtiennent son rappel. Bien des années plus tard j’ai retrouvé les descendants de René Burckardt. Ils n’avaient aucune connaissance du rôle de leur père et n’avaient conservé aucune archive.
René Burckhardt, représentant de la Croix Rouge à Salonique au début des déportations.
Dans la lettre signée par Jean d’Annan figurent ces lignes terribles et odieuses, dans lesquelles il est demandé aux organisations juives américaines d’abonder les fonds de la commission mixte afin d’envoyer des vivres et en même temps, il est mentionné qu’aucun traitement particulier ne favorisera les Juifs à Salonique, enfermés dans des ghettos et déportés vers les camps.
Jean Lieberg, sa housekeeper Vetta et son chauffeur, en route pour Salonique
Lieberg arrive le 30 avril 1944 par la route, en provenance d’Athènes. C’est un périple qui n’était pas sans danger à l’époque. Il avait pendant le mois de mars parcouru les villages de Thessalie, apportant des premiers secours à des populations victimes de sanglantes représailles allemandes . A cette date, la ville est vide de ses anciens habitants sépharades. Les noms des rues qui soulignaient leur présence ont été remplacés par d'autres acceptables pour l'occupant. A Salonique, il va être chargé de superviser l’approvisionnement en pain de plus de 350000 personnes.
Voici, traduit de son rapport, sa description du théâtre d’opération et des intervenants auxquels il aura à faire:
"Depuis son origine, en tant que mouvement monarchique de défense l’EAM agglomère rapidement les membres du parti communiste qui n’ont pas d’autres possibilités d’échapper à l’occupant que de le rejoindre dans la montagne.
Ainsi se cristallise au sein de l’EAM une organisation militaire, ELAS acronyme en grec pour armée de libération nationale. Si au début celle-ci apparaît comme démocratique et sans ambition politique, rapidement, sous l’influence du KKE (le parti communiste grec) elle se radicalise. La seule exception à la prééminence de l’ELAS et de l’EAM dans la résistance et chez les partisans, se rencontre en Epire ou l’organisation principale, l’EDES pour Armée de Libération Républicaine sous la direction du général Zervas était estimée à une division de troupes de montagne. C’était une organisation qui incorporait à ses débuts des royalistes et des républicains mais qui, dans son évolution, exclura les communistes. Son ambition est de combattre non seulement les occupants mais aussi les communistes grecs. C’est pour cette raison qu’elle agrège autour de Zervas de nombreux officiers. L’organisation est également présente à Athènes. Il est évident que les différences politiques entre EDES et EAM-ELAS allaient conduire à une situation conflictuelle favorisée par les Allemands.
« Des divisions apparurent également au sein des deux factions dominantes et plus particulièrement au sein de l’EAM. Outre les communistes du KKE , le mouvement agrégeait les socialistes de SKE, le parti agraire AKE et un parti socialiste intégré le ESKE. Suivant l’EAM, une faction de l’EDES combattait les communistes tout en s’alliant aux Allemands. Il n’y a pas d’éléments qui permettent de confirmer ces allégations. Cependant, il apparut plus tard que l’EAM arrêtait ses sabotages dans le but de se renforcer et de ce fait même collaborait avec les Allemands.
Au vu de ces divisions on comprend comme il fut aisé et efficace pour les occupants de combattre les partisans en dressant les Grecs les uns contre les autres. Il fut créé à cet effet une force dite de sécurité nationale, organisée par le gouvernement collaborateur de Rallis à Athènes, mais entièrement armée par les Allemands. En quelques mois cette force apparut en Macédoine et à Salonique. Elle aurait dû être composée uniquement de nationalistes grecs désireux de combattre le communisme, mais dans la réalité elle était faite de voyous et de desperados au passé trouble. Ceci explique que sous couvert de lutte contre le communisme, de nombreux pillages et des atrocités importantes furent commis dans les campagnes. Ces forces intervenaient derrière les troupes allemandes, pour nettoyer les villages, tuer toute personne supposée proche de la résistance et éventuellement incendier les villages. Tout cela était fait dans le plus grand arbitraire.
Aux meurtres et aux exactions de ces supplétifs, l’EAM-Elas répliquait de façon similaire, en exécutant de façon sommaire quiconque était soupçonné de collaboration.
En mai 1944, la situation empira à Salonique du fait de l’arrivée de nombreux réfugiés en provenance des régions contrôlées par la Bulgarie. Certains d’entre eux furent hébergés par les Grecs de la ville, d’autres furent, soit exécutés par les Allemands, soit mis en camp de concentration. La population salonicienne estimée au départ à 340000 habitants, dépassa les 400.000. La situation se dégrada de plus en plus lorsque les combats se rapprochèrent de la ville.
Quatre forces de sécurité collaboraient avec les Allemands. En premier lieu, l’Armée Nationale Grecque déjà évoquée et formée à Athènes. Ensuite, les SS grecs à ne pas confondre avec les SS allemands mais également sous commandement allemand. Leur chef était un ancien conducteur du nom de Dangoulas. Ensuite il faut citer la compagnie Schubert de sinistre mémoire, composée de repris de justice et de délinquants portant l’uniforme allemand. Elle était placée sous les ordres du « capitaine Schubert », en fait un criminel grec né au Moyen Orient, sadique, cruel et colérique. La dernière force, le bataillon Poulos était placée sous les ordres de l’ex colonel Poulos et était rattachée directement au commandement allemand. »
Le bataillon Poulos
Le colonel Poulos.
Des membres du commando Schubert
Jean Lieberg énumère dans son rapport les nombreuses atrocités commises par ces milices collaboratrices, mais il évoque également les répliques des partisans.
Il passe ensuite à l’attitude du commandement allemand face aux plaintes. Celles des Grecs restent sans réponse. Celles de la Croix Rouge sont parfois suivies d’effets.
Il écrit :
« Ces bataillons prenaient la liberté d’arrêter, d’insulter et de rançonner le personnel grec de notre organisation. Cela se passait en général dans les campagnes, loin de tout contrôle. Lorsque nous pouvions prouver ces exactions, nous nous plaignions auprès des Allemands. Nos voitures furent confisquées un nombre incalculable de fois. Les Allemands nous restituaient les biens confisqués sans aucune excuse, même lorsque celles-ci nous étaient promise après une protestation officielle. »
Une des voitures de la Croix Rouge, criblée de balles.
Lieberg cite encore des supplétifs Mongols qui sont les plus violents de tous et les plus craints par les populations des campagnes.
Il évoque les sentiments des Grecs vis-à-vis des Allemands :
« Les relations des civils grecs vis-à-vis des Allemands étaient hostiles sans être haineuses. Les dures représailles contre des Grecs innocents, l’extermination des Juifs de la ville, la destruction de leur cimetière, la réquisition en masse d’appartements, de véhicules, de meubles, de radios et d’autres biens, l’enrôlement de force de la jeunesse pour des travaux forcés, la priorité aux Allemands dans les trams et les trains, les couvre-feux, les interdictions de voyager, la propagande dans les journaux, sur les murs de la ville, par haut-parleurs, tout ceci avait généré de l’hostilité, mais ce sont les Italiens qui étaient haïs et étaient crédités d’une conduite plus dure encore que celle des Allemands. Les exactions causées par les supplétifs grecs et celles des Bulgares généraient des détestations virulentes.
Une grande partie des travailleurs de la ville étaient engagés comme volontaires pour les Allemands, sans doute parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix pour subvenir à leurs besoins. Ils étaient plutôt bien traités.
Les pêcheurs avaient conclu un accord avec les occupants auxquels ils fournissaient la moitié de leur pêche contre du carburant. Les réquisitions de nourriture n’étaient pas excessives et étaient compensées par des imports de valeurs caloriques similaires d’Allemagne ou de territoires occupés. Parmi ces biens il faut citer le sucre qui était distribué à la population. Dans un rapport spécial je fais la liste des réquisitions et des compensations. On peut même soutenir que les Allemands montraient une sorte de préoccupation pour la population de la ville, sans aucun doute dans un souci de propagande. Ainsi faisaient-ils savoir que les distributions de nourriture étaient organisées comme s’ils en étaient responsables, alors qu’en fait c’était la Croix Rouge qui l’était. »
Jean Lieberg avec le Capitaine Arrhenius du m/s Vasalholm qui ravitaille Salonique
Lieberg aborde ensuite la co-opération entre la Croix Rouge et les Allemands à Salonique.
A part les soucis qu’il a déjà mentionnés avec les milices et l’instrumentalisation de l’opération de ravitaillement à fin de propagande, il estime la collaboration plutôt très bonne.
« Nous étions en contact quotidien avec le Militärverwaltungsoberrat qui avait le rang de colonel. Le poste était occupé par Le Dr. Markul et après lui par le Dr. Müller-Ostern (les remplaçants du Dr. Merten qui fut en place pendant la phase de déportation).
Les deux étaient compétents, d’une grande activité et toujours obligeants à notre égard.
Nous pourrions étendre notre appréciation à l’ensemble du staff du Militârverwaltung. Nous avons été en contact avec le consulat général d’Allemagne, avec les autorités navales, les services de sécurité et même avec le général commandant, feu le lieutenant général von Erdmansdorff que j’ai appris à connaître et qui était un homme cultivé et obligeant. (von Erdmansdorff se rendit aux Britanniques à la chute de la ville et remis aux partisans serbes dans un geste de bonne entente. Ces derniers l’exécutèrent le jour même)
Ainsi, à la demande de la Croix Rouge suédoise suis-je intervenu auprès de lui en faveur de six prisonniers de guerre britanniques. Il initia immédiatement une enquête qui porta ses fruits. J’ai aussi beaucoup apprécié le commandant du port, le kapitänleutnant Hans Pauk, un Autrichien peu favorable au nazisme. Il rendit les choses faciles pour les bateaux suédois qui ravitaillaient la ville au point que c’est à Salonique que nos opérations furent les plus aisées.
Docteur Markul en visite au mont Athos
Hans Pauk, le commandant autrichien du port qui refusa la destruction du bord de mer
Hans Taxis, un officier de l'administration militaire avec lequel Lieberg eut de nombreux contacts
Si l’est de la Macédoine et la Thrace étaient occupées par les Bulgares, ceux-ci étaient également très présents à Salonique. Les soldats Bulgares semblaient être faits du même bois que les Mongols. Lorsque l’évacuation a commencé en septembre, ils brûlèrent et ravagèrent de façon incontrôlée tous les villages qu’ils traversaient. Nous n’avons pu accéder jusqu’en novembre, à l’est de la Macédoine qu’ils contrôlaient. Dès la fin du mois d’août, l’isolement de Salonique s’accrut. La ligne ferroviaire la reliant à Athènes fut coupée par les bombardements alliés et il en fut de même pour la route. Les connections téléphoniques furent interrompues. Les télégrammes pouvaient encore être envoyés mais avec une attente d’au moins une semaine. Nos distributions de vivres devinrent de plus en plus difficiles, à la fois par le nombre restreint de nos camions et par l’approvisionnement en carburant devenu presque impossible. Les exactions commises par les troupes de sécurités (les milices) contre nos convois battaient tous les records. Les rumeurs sur les activités des forces britanniques dans la région semblaient fausses. Le 15 septembre, des avions isolés bombardèrent la ville. Le 17, un bombardement plus important détruisit la gare. Un autre survint le 19. Le 21 eut lieu le raid le plus important et le plus meurtrier. Plusieurs pâtés de maisons s’écroulèrent et on déplora des centaines de morts. Des milliers de personnes furent à la rue, ce qui augmenta les problèmes auxquels la Croix Rouge devait faire face. Notre plus gros dépôt, rue Leontos Sofiou brûla et avec lui 100 tonnes de sucre que nous allions distribuer et 6000 paires de chaussures destinées aux villageois des campagnes. Le 24 il y eut encore un bombardement dont les conséquences furent moindres.
En même temps nous devions affronter une situation économique de plus en plus difficile. La drachme s’effondra. Le Napoleon d’or (une pièce de 20 francs) qui le 30 juin valait 137 millions de drachmes ,monta à 476 millions le 31 juillet. Un mois plus tard il valait 4 milliards et puis atteint 41 milliards. Des billets de banque d’une valeur de 200 millions de drachmes firent heureusement leur apparition, à un moment où un ticket de tram coûtait 50 millions. L’inflation galopante rendait toute évaluation hypothétique, qu’il se soit agit du prix du pain ou des salaires. A cette époque nous employions 600 personnes dans nos bureaux et au moins trois cents boulangers et ouvriers dans les moulins à grains, tous avec des demandes pressantes pour le payement de leurs salaires.
Malgré ces difficultés et quelques grèves nous sommes parvenus à maintenir la ration de pain quotidienne de 70 drammia (220 g) par personne, et la fourniture non récurrente de100 drammia de sucre. Pour cette dernière nous sommes redevables au Allemands qui compensèrent les destructions du 21 septembre.
Si septembre avait marqué le début de la fin, c’est en octobre que vint la conclusion. Les Allemands commencèrent à faire exploser des objectifs jusque et y compris dans la ville. Les fumées en provenance du port obscurcirent le ciel pendant tout le mois. Le commandant du port (Hans Pauk) nous dit qu’il avait brûlé en une journée mille gilets de sauvetage. La ville était maintenant isolée, la Lufthansa annula tous ses vols. Le télégramme, notre unique moyen de communication cessa de fonctionner. Cela n’empêcha pas la rumeur de se répandre sur l’arrivée des troupes britanniques à Patras le 5 octobre, et sur la libération d’Athènes le 18. Chaque nuit des avions militaires évacuaient des officiers allemands vers le nord.
Un des bateaux sabordés par les Allemands avant leur retraite
La grande explosion des entrepots du port vue depuis la terrasse de l'appartement de
Jean Lieberg
Les difficultés de la Croix Rouge ne cessaient d’augmenter. Le 24 septembre le m/s Vasaholm était à l’ancre avec un chargement de 6000 tonnes de grains correspondant à la consommation de la ville pour un mois et demi, mais le déchargement, la mouture, la boulange et la distribution étaient quasiment impossibles dans le chaos. Le 5 octobre, un œuf valait 700 millions de drachmes et le Napoleon d’or était coté à 262 milliards. La drachme ne valant rien, les magasins fermèrent. Les Allemands essayèrent de la remplacer par un papier qu’ils appelèrent « mark » qui n’était autre qu’un vieux pfennig de la Vermacht sur lequel une nouvelle valeur était imprimée.
Les deux dernières semaines d’octobre furent très éprouvantes pour la population de Salonique. Tout faisait défaut, électricité, carburant, transport public, monnaie. Elle ne pouvaient plus compter que sur la Croix Rouge et la libération la plus rapide possible. La ville vivait au milieu du bruit des explosions allemandes et des tirs de la guérilla. Il était évident que les jours des forces de sécurité étaient comptés, les partisans ayant investi les faubourgs, déterminés à entrer dans la ville dès le départ de l’occupant. C’était une stratégie sage à défaut d’être honorable. Elle fut utilisée partout dans le pays. »
Devant la dégradation de la situation, la Croix Rouge décide de distribuer gratuitement les rations de vivre. Jean Lieberg intervient constamment auprès des autorités allemandes pour éviter le plus de destructions possible, surtout lorsqu’elles menacent les activités de ravitaillement. Il écrit :
« Nous avons expressément demandé d’épargner le moulin Allatini absolument vital pour notre travail.
Le moulin Allatini
Nous avons en plus demandé aux Allemands de reprendre les réserves importantes de nourriture, de charbon et d’autres fournitures qu’ils projetaient de détruire, et ce pour préserver la population. Au crédit des Allemands nous devons mentionner qu’ils nous ont remis assez de nourriture pour assurer le ravitaillement pendant un mois ainsi qu’une grande quantité de charbon et d’essence.
Le 20 octobre, tout Salonique apprit que Thèbe et Janina avaient été libérées. Les Allemands augmentèrent les destructions et brûlèrent ce qui restait de leurs équipements. Sur les quais, les bateaux furent sabordés les uns après les autres. Le long du quai Niki, beaucoup de bâtiments furent coulés. Le plan original prévoyait de dynamiter tous les magnifiques immeubles du bord de mer, mais Hans Pauk le commandant en charge de cette opération annula cet ordre. L’entrée du port fut bloquée en coulant un grand minéralier et un navire de tourisme italien.
Alors que ces destructions avaient lieu, de nombreuses troupes arrivèrent dans la ville en provenance des îles. Dans ce chaos, les plus pauvres dans la ville commencèrent à piller, les reliques abandonnées par les Allemands mais aussi des propriétés grecques. Beaucoup d’Allemands désertèrent et parmi eux un des aides de camps du General Commandant Loehrs. La police secrète militaire me soupçonna de complicité ayant eu la malchance d’être le dernier à m’entretenir avec lui avant qu’il ne disparaisse. Il paraît qu’il collabora ensuite avec les britanniques.
Deux grands bateaux hôpital allemands accostèrent pour évacuer les blessés. Il y eut un accord à un niveau élevé pour permettre à huit cents blessés qui n’avaient pas pu trouver place dans ces bateaux, de recevoir asile sur le m/s Vasaholm encore à l’ancre. Après réception d’un télégramme de l’ambassade de Suède, j’ai commencé mettre ces instructions en place. Le Vasaholm avait juste fini de décharger et les équipes médicales allemandes se chargèrent d’équiper le navire. Le 28 octobre, les Allemands nous informèrent cependant qu’ils ne feraient pas usage du bateau. Après que le Vasalhom ait quitté la baie, celle-ci fut minée, les gardes sur le navire le quittèrent et les relations radio furent rétablies.
Le 29 octobre, alors que je conduisais à la périphérie de la ville, j’ai été arrêté par des partisans et parmi eux se trouvait un jeune britannique en tenue de combat et béret. La ville était un enfer de fumée et de bruit. Le 30, une énorme explosion signa le point d’orgue de ce mois terrible. L’intérieur du port explosa. La cité entière trembla et les bâtiments les plus proches furent endommagés. La destruction du port fut totale. Après cette apothéose, les convois allemands se mirent en marche vers le nord. La ville était libre. «
Un pan d'histoire tragique et méconnu.