top of page
Photo du rédacteurMaurice Amaraggi

In memoriam Maurice et Clara de Hirsch



On ne peut évoquer le passé de Salonique sans rencontrer le nom de Hirsch. Et cette rencontre souligne l’effacement et la disparition d’une partie importante de l’histoire de la ville.

Les archives de l’Alliance Israelite Universelle abritent un document précieux qui résume en quelques pages le rôle majeur pour la cité du baron et de la baronne Hirsch. Il s’agit des discours prononcés au cours du service funèbre célébré en l’honneur de Clara de Hirsch.


Une foule très nombreuse se pressait à l’office de la synagogue Kania. Tellement nombreuse même qu’un second hommage fut organisé à la synagogue d’Aragon. Ce jour-là quatre discours furent prononcés. Le premier, en judéo-espagnol par le Grand Rabbin Jacob Covo, les autres en français, par Charles Allatini président du comité local de l’Alliance Israélite Universelle, par Jacob Modiano, président du Conseil Communal Israélite et par Joseph Matalon, directeur des écoles de garçons de l’Alliance.

Les Saloniciens disaient adieu à celle qui, avec son époux avait été d’une générosité sans limite pour la population juive de la ville, en finançant la construction et le fonctionnement de l’un des principaux hôpitaux de la ville, et en faisant sortir de terre de tout un quartier situé devant la gare. Ce qui allait devenir le Quartier de Hirsch était destiné à recueillir les sinistrés des incendies multiples qui frappaient la ville et les rescapés des pogromes russes, en route vers des horizons plus cléments.

Au cours de l’allocution les différents dons furent détaillés. Ainsi Charles Allatini fait-il mention d’un premier don lorsque les Hirsh font escale pendant quelques heures à Salonique. Il dit :

Je me souviens avec émotion qu’en 1874, nous avons eu l’extrême bonheur de recevoir à Salonique la visite du baron et de la Baronne de Hirsch. Ils ne sont restés que quelques heures dans notre ville, mais l’impression de la figure noble et sympathique du Baron de Hirsch et de la physionomie angélique de la Baronne, restera toujours gravée dans nos cœurs. Ils ont remis pendant cette visite 1000 Livres Turques pour nos indigents et pour les meilleurs élèves des écoles de l’Alliance. Quelques jours plus tard nous recevions de leur part 42000 francs pour nous mettre en mesure d’acheter un local pour l’Ecole de garçons

Il continue plus loin en évoquant l’énorme incendie de 1890 presque aussi important que celui de 1917 qui permettra la reconstruction de la ville telle qu’elle se présente aujourd’hui.

Suite au désastre de 1890, les Hirsch font une donation de 110000 francs suivie immédiatement par une autre de 60000 pour construire des demeures pour les réfugiés russes dans ce qui deviendra le faubourg de Hirsh évoqué plus haut.

Il parle de la mort de leur fils unique Lucien. Cet événement dévastateur pour le couple qui sait alors qu’il n’aura pas de descendance directe entrain une augmentation considérable de leurs activités philanthropiques. Les enfants nés avant Lucien étaient tous morts également et Lucien décèdee à 30 ans en 1887. Il avait amassé une collection numismatique extraordinaire qui fut donnée au décès de sa mère à l’Etat belge. C’est à ce jour le fleuron du cabinet des médailles de la bibliothèque Royale de Belgique.

L’énumération des dons de Clara de Hirsh est continuée dans le discours de Jacob Modiano, le président du conseil communal

Il cite :

Madame la Baronne de Hirsch fonda ici deux écoles populaires de garçons et deux de filles en leur allouant 30.000 Frs par an pour leur entretien. Elle arrachait ainsi à l’ignorance et au vice plus de 900 enfants.

La situation de nos pauvre malades avait aussi attiré sa commisération ; lorsqu’elle apprit que le soin à domicilie que notre Bikour Holim (le secours aux malades prescrit par la religion) donnait à ses malades étaient insuffisants, elle a pensé que laisser un pauvre un jour de plus alité, c’est faire manquer le pain à sa famille ; que laisser mourir, faute de soins, un tel malheureux, c’est plonger femme et enfants dans la misère et augmenter ainsi l’indigence. Afin d’assurer dans la mesure du possible la prompte guérison de ces malheureux, Madame la Baronne de Hirsch nous a donné la somme de 200.000 Frs pour la construction d’un hôpital et elle nous a alloué une subvention annuelle de Frs : 30.000 pour l’entretien de cet établissement. En attendant la fondation de l’hôpital elle a fait construire trois dispensaires qui sont entretenus actuellement à ses frais et dont chacun de nous a pu en apprécier les effets salutaires.

Mon grand-père maternel, dont je porte le prénom, travailla comme gynécologue dans cet hôpital. On le voit ici sur le porche d’entrée sous le fronton qui porte le nom de la principale donatrice.


J’ai filmé à l’intérieur les plaques des donateurs saloniciens qui représentaient sans doute le gotha de la ville, la gente alta. Ces plaques ont été préservées.


Ce n’est pas le cas du nom des Hirsch, principaux donateurs de l’hôpital. Celui-ci fut remis par la Communauté Juive de Salonique dans les années 50 à l’état grec ou à la ville (je n’ai pas pu obtenir les archives relatives à cette cession) avec, d’après Rena Molho, la promesse que le nom de Hirsch, serait préservé. Aujourd’hui il s’appelle hôpital Hippocrate et continue à dispenser des soins à la population de la ville apparemment, d’après une expérience personnelle, dans la plus grande gratuité.


L’hôpital et le Quartier de Hirsch sont le grand œuvre, la marque des Hirsch dans la ville.

On a vu que le nom a été effacé de la mémoire locale pour l’hôpital, le quartier lui n’existe plus. Sa présence, en face de la gare, en avait fait le site idéal pour le camp de rassemblement de ceux qui allaient être déportées vers Auschwiitz Bitkenau. Ce n’était plus un quartier, c’était un ghetto. Après la guerre il fut rasé.


La Baron de Hirsch avait construit sa fortune sur les spéculations financières (souvent douteuses) liées à la construction du chemin de fer, la grande aventure de cette fin du XIXé siècle. Il avait activement participé à la construction des lignes qui allaient désenclaver l’Empire Ottoman vers la Russie d’abord et puis vers Vienne et l’Europe occidentale.C’est le chemin de fer qui permit à Salonique de devenir le grand port de l’hinterland Balkan. Ce fut une aventure difficile semée d’embûches, menées alors que les guerres démembraient les anciens empires, créant des royautés et des frontières. Maurice de Hirsch réussit à surmonter toutes les difficultés et accumula une richesse énorme.



Maurice de Hirsch avait épousé à Bruxelles Clara Bishoffsheim, fille du Baron Jonathan Raphaël, un banquier d’origine allemande, émigré dés son enfance en Belgique où il mêla avec succès jusqu’à sa mort activités financières, politiques er philanthropiques. La dot de Clara de 30 millions de francs–or (environ 90 millions d’euros), donne une idée de la fortune de son père. La Belgique de l’époque est un pays florissant, avec une sidérurgie forte dont les produits servent dans la construction des milliers de km de voies ferrées dans le monde. Ses entrepreneurs sont très actifs partout (la famille Empain en est un bon exemple).

La banque juive,celle des Camondo, Cahen d’Anvers, Bischshoffeim et Golsdchmidt

est très visible à l’époque et des titres de noblesse sont conférés en remerciement des services que ces hommes rendent dans le financement des royaumes et empires. Mais dans le monde des affaires leurs opérations sont concurrencées par des banques dites catholiques. On voit donc des groupes financiers se constituer suivant des appartenances confessionnelles.

Dans ces luttes pour la construction et l’exploitation des chemins de fer dans l’empire Austro Hongrois et l’Empire Ottoman, Hirsch se heurte à Paul Eugène Bontoux qui est devenu directeur général de l’Union Générale, une banque ayant l’aval du

et des milieux légitimistes, ainsi que du Vatican. La banque fait faillite en 1982, pour de multiples raisons alliant mauvaise gestion, spéculations financières et différents politiques.


Le krach est immense, il est évalué à quatre milliards de francs, ce qui est colossal pour l’époque et cause un tort considérable à un grand nombre de petits porteurs. L’opinion publique attribue cette débâcle aux concurrents de l’Union Générale, c’est-à-dire à la banque juive et cette accusation alimentera fortement le fond d’antisémitisme de la population. Quelques années plus tard, lorsque l’affaire Dreyfus éclatera, ce ressentiment s’exprimera avec force.


La lutte contre l’antisémitisme et le secours aux plus pauvres des communautés juives en Europe sont les autres combats des Hirsch. La philanthropie est une tendance générale des riches et puissants de l’époque. A Paris les Hirsch affichent une opulence extrême. Leur hôtel particulier, au n°2 de la rue de l’Elysée est devenue maintenant une annexe de Palais de l’Elysée. Non content d’avoir acquis ce bâtiment ayant appartenu à l’impératrice Eugénie, Maurice de Hirsch avait également acheté plusieurs bâtiments mitoyens au 4, 6 et 8 et l’hôtel particulier du 24-26 rue Gabriel. L’ensemble occupe un demi hectare et comprend un parc.



Les motivations des actions philanthropiques des classes supérieures au XIX é siècle seraient intéressantes à analyser. Sans doute y a-t-il un mélange de conscience de l’opulence dont jouissent les donateurs et de la pauvreté qui touche le plus grand nombre, peut-être du remord. C’est une époque où l’état n’assure pas la solidarité entre les différentes classes sociales. Sans atteindre les largesses du Baron de Hisch, à Salonique les Allatini sont de grands donateurs. Ainsi lit-on dans le Journal de Salonique du 23 juin 1898 : « A l’occasion de l’inauguration de sa nouvelle maison de campagne, Monsieur Charles Allatini fit une importante distribution de secours en argent aux nécessiteux de la ville ».

C’est une philanthropie à laquelle participent également les classes moyennes. Ma mère me racontait qu’au début de l’hiver, sa famille faisait distribuer du charbon et des vêtements aux plus pauvres. C’est peut-être ainsi que la structure très hiérarchisée des classes sociales s’est maintenue.

Un autre ressort de la philanthropie des Hirsch se situe probablement dans la compétition mondaine entre pairs, entre les Camondo, les Rothschild, les Cahen d’Anvers. Maurice de Hirsch ne parvint jamais à devenir membre du Cercle de la rue Royale dont faisaient parties les autres grands banquiers juifs. Il prend sa revanche en les surpassant dans chacun de ses dons.

Ainsi lors de l’incendie de Constantinople de 1880 les Hirsch envoyèrent-il 170.000 francs alors que le conte de Camondo n’envoya que 3000 et Alphonse de Rothschild 6000.

Une autre motivation de la générosité des Hirsch est sûrement liée au désir de laisser une trace, de perpétuer le nom.

Plusieurs enfants étaient morts en bas âge. Un fils survit, Lucien qui malheureusement meurt à trente ans, de leur vivant. A partir de ce moment, la philanthropie devient le grand œuvre dans lequel Clara et Maurice de Hirsch s’investissent. Si Salonique fit partie de leur largesse, c’est évidemment pour leur action de secours pour les victimes des pogromes russes et la constitution de colonies de peuplement en Argentine et en Amérique du Nord qu’ils sont les plus connus.

Ce combat pour sauver les Juifs de l’antisémitisme s’oppose à celui de Herzl qui lance le projet sioniste, suite aux déchainements de passion qu’engendre l’affaire Dreyfus.

Le dialogue entre Hirsch et Herzl tel que ce dernier le rapporte est assez étonnant tant par son agressivité que par la façon dont ils ont fait leurs les préjugés antisémites.

Herzl dit au baron :

« Je considère le principe de la philanthropie comme absolument nuisible…Vous formez des parasites. Il est significatif que nul peuple ne pratique autant la philanthropie et la mendicité que les Juifs. La conclusion s’impose qu’il y a certainement un rapport entre ces deux faits. »

Il continua en critiquant les colonies créées par Hirsch en Argentine , il lui dit :

« Les Juifs en Argentine vivent dans la débauche. La première maison que vous avez construite est un bordel »

Hirsch démentit cette affirmation.

Herzl continue ;

“Vous avez fait venir ces fermiers juifs à travers l’océan. Ils doivent penser que vous les soutiendrez indéfiniment. Cela ne les encouragera pas à travailler. Quel que soit le coût de cette opération, elle n’en vaut pas la peine. Combien de ces spécimens pourrez-vous transporter ? Quinze mille, vingt mille ? Il y en a bien plus que ça dans une seule rue de Leopoldstadt. L’aide directe ne convient pas pour faire bouger des masses, seuls des moyens indirects peuvent y parvenir.

A ce moment Maurice de Hirsch montra son exaspération. Ces critiques le touchaient au cœur de son œuvre qui rencontrait de nombreuses difficultés :

« Assez de critiques, que faut-il faire ? »

Herzl propose alors :

« Il faut aider les Juifs en faisant connaître au monde leurs qualités de bravoure, de sacrifice, de haute moralité, leurs compétences artistiques, scientifiques, et ce en créant des prix visant à récompenser les meilleurs. Le haut fait récompensé étant inhabituel et glorieux, on en parlera partout. Ainsi les gens apprendront qu’il y a partout de bons Juifs. »

Maurice de Hirsch réplique :

« Non, non et non ! Je ne veux pas élever le niveau général des Juifs. Nos malheurs viennent de ce que les Juifs veulent grimper trop haut. Nous avons trop d’intellectuels. Mon intention est d’empêcher les Juifs de trop se pousser en avant…Toute la haine des Juifs provient de là.»

La suite de la conversation est tout aussi fascinante par l’antagonisme qu’elle montre entre ces deux hommes qui pourtant, l’un comme l’autre, voient dans l’émigration le remède à l’antisémitisme. Mais l’intégration des préjugés antisémites dans les conceptions des deux hommes est également très extraordinaire.

Ainsi pour Herzl, il faut prouver par l’excellence que le Juif est meilleur qu’on ne le croit et qu’il est un homme de valeur et bon, alors que pour Hirsch c’est le contraire, c’est cette excellence et la réussite (dont ses entreprises sont un exemple) qui causent l’antisémitisme. Il faut que le Juif soit un artisan, un fermier, qu’il n’excelle pas, qu’il ait une éducation certes mais sans plus.

Les deux hommes se quittèrent. Hirsch ne financera pas le projet sioniste. Edmond de Rothchild non plus. Il avait pourtant commencé en Palestine un projet similaire à celui de Hirsch en Argentine mais de moindre envergure. Il n’envisageait pas un état national.

A Salonique, le nom de Hirsch a disparu de la ville. Les écoles, les ateliers, les maisons pour femmes qui avaient été financées par la largesse des Hirsch, ont fermé au cours du temps. Dans leur désir de perpétuer leur nom, les Hirsch avaient adopté deux jeunes garçons, Arnold et Raymond Deforest. A la mort de Clara, ils héritèrent de 20 et 15 millions. A la mort de Raymond, Arnold se retrouva à la tête d’une fortune de 35 millions. Il fut après son adoption Maurice Arnold de Forest-Bischoffsheim, puis Maurice Arnold de Forest-Bischoffsheim, Baron de Forest, puis Maurice Arnold de Forest et enfin Maurice Arnold de Forest, Comte de Bendern. Ces changements de nom montrent la honte qu’avait cet homme à être associé à la baronnie juive dont la fortune léguée lui permit, à lui et à ses descendants de vivre sans travailler. Eduqué à Eton, ami de Churchill, il compte dans sa descendance une arrière petite-fille qui figure sur une photo emblématique de mai 68. Caroline de Bendern est la Marianne de 68, image qui fit la une de tous les quotidiens et magazines. La photo ne plut pas à son aïeul qui la déshérita.



A ce jour, ni l’émigration en Argentine et en Amérique, ni la création de l’état d’Israël ne sont venus à bout de l’antisémitisme dans le monde.


Quelques une des oeuvres soutenues par Maurice et Clara de Hirsch telles qu'elles apparaissent dans la notice biographique accompagnant l'office donné à Salonique.


Statue représentant Clara de Hisrch et Mme Boucicaut, square Boucicaut à Paris. Oeuvre de Paul Moreau-Vauthier





.





228 vues1 commentaire

1件のコメント


Françoise Lerusse
2020年6月19日

Article très documenté et superbes illustrations! Un portrait et une fresque de l'époque vivante et agréable à lire.

いいね!
Post: Blog2_Post
bottom of page