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  • Photo du rédacteurMaurice Amaraggi

L'histoire de Maurice Florentin

Dernière mise à jour : 21 mai 2020


Groupe de maquisards juifs et chrétiens dans la montagne


Salonique fut occupée par les Allemands en avril 1941 et la Grèce divisée en trois zones. Le nord avec Salonique fut placé sous juridiction allemande alors qu’Italiens et Bulgares se partagèrent le sud et une enclave à l’est

La première année d’occupation allemande se passa sans mesures coercitives et raciales pour les Juifs de la ville mais l’année suivante les premières mesures menant à la déportation en 43 et à l’extermination furent édictées.

Maurice Florentin est mon cousin par alliance. En 1943, il était en troisième année d’étude d’agronomie à l’Université de Salonique. Il était le fils cadet d’une famille de la classe moyenne salonicienne. Son frère ainé avait étudié au lycée français, ce qui était assez usuel pour les juifs de Salonique qui parlaient français et surtout judéo-espagnol jusqu’à la prise de la ville par la Grèce en 1912. Maurice qui était plus jeune a fait ses études dans des écoles grecques ce qui lui permit de maitriser parfaitement la langue.

Bien entendu il parlait également français et anglais.

S’exprimer parfaitement en grec, sans accent était un avantage considérable dans ces moments troubles par rapport à la majorité des `juifs de Salonique qui soit le parlaient mal soit l’ignoraient.

En 1943, quelques mois avant le début des déportations Maurice et sa famille durent gagner un petit appartement dans une partie de la ville qui devint un premier ghetto juif. C’est à ce moment que Maurice décida de partir.

Ses parents devaient être remarquables de générosité et de clairvoyance en encourageant et permettant le départ de leur fils. Dans une culture très patriarcale c’était une exception.

La plupart des survivants de l’extermination qui ne furent pas déportés essayèrent de gagner le sud, la partie du pays qui était sous juridiction italienne et où les lois raciales n’étaient pas appliquées.

Pour survivre, il fallait quitter la ville et chacune de ces fuites est un roman qui mériterait d’être écrit.

Maurice Florentin ne prit pas la voie du sud.

Il avait des amitiés de gauche comme la plupart des étudiants de son université.

En 1943, la résistance en Grèce se structura principalement autour du parti communiste, dans des maquis qui opéraient dans les montagnes. Un plan de fuite pour les rejoindre fut établi et le 20 mars 1943 Maurice se mit en route avec John Beja, un de ses amis.

Habillé comme des ouvriers n’arborant pas l’étoile de David sur la poitrine, ils sortirent du ghetto, sans difficulté et sans être inquiétés par les gardes. C’est une des choses qui a le plus marqué Maurice quand il me raconta son histoire ; la facilité avec laquelle il était possible de sortir du ghetto, de s’échapper.

Ils retrouvèrent leur contact et s’éloignèrent de Salonique. Ils firent une halte dans une des caches de la résistance où leur guide leur dit qu’ils seraient rejoints le lendemain par quinze autres jeunes juifs. Mais le lendemain personne ne vint. Le guide les fit patienter encore une nuit, ce qu’ils firent de bon cœur, mais au troisième jour il fallu accepter qu’ils partiraient seuls. Maurice n’a pas compris pourquoi si peu de jeunes gens hésitèrent à partir comme lui et il pense que c’est parce qu’il leur était impossible de quitter leur famille. Ces liens là les ont sans doute condamnés à mort et à la déportation.

Maurice, John et leur guide se remirent en marche vers Giannitsa à 40 km de Salonique, en Macédoine. Parfois un paysan leur permettait de monter sur une carriole et soulageait leur marche

Près du pont sur la rivière Axios ils décidèrent de prendre un café dans une taverne. Ils allaient pousser la porte quand un homme sortit et les prévint que l’endroit était plein de soldats allemands et qu’ils feraient bien de ne pas y entrer.

C’est un épisode qui a marqué Maurice parce qu’il n’a pas compris comment cet homme avait pu déceler qu’ils étaient en fuite et en route vers le maquis.

Et puis ce fut la Montagne. D’abord le mont Paiko et ensuite Kaimaktsalan à la frontière avec La Macédoine du Nord. Et de là toute la Macédoine. Depuis la frontière avec l’Albanie jusqu’à la mer.




Une vie de partisan et de guérilla commença. Maurice n’avait pas encore fait son service militaire. On lui apprit à se servir d’une arme. Une vie de marche où il fallait vivre avec les poux. Mais comparé au sort qui lui était réservé dans les camps de concentration c’était le paradis.

Le groupe qu’il avait rejoint était composé d’hommes venant de Kavala, Drama, Serres et Salonique. Il y avait très peu de juifs dans les montagnes. Maurice pense en avoir croisé une dizaine au hasard des rencontres entre unités résistantes. La plupart ne combattaient pas.

Dans mon film, David Saltiel qui était le hazan, le chantre de la synagogue raconte comment lui et sa famille s’échappèrent également pour le maquis où ils faisaient des travaux de cordonnerie, métier qu’ils connaissaient et pratiquaient.

Les groupes étaient commandés par des capitaines. Tous les combattants avaient des pseudonymes. Maurice était Nikos, son ami Beja se faisait appelé Takis. Il n’y avait aucun antisémitisme dans ces groupes. C’étaient des combattants et Maurice était un simple soldat.

Les Britanniques avaient parachuté des commandos dans les montagnes. C’étaient des spécialistes des explosifs. Il n’y avait qu’une voie de chemin de fer entre Athènes et Salonique et les maquisards protégeaient les commandos qui faisaient sauter les convois, les ponts, les rails. Churchill approvisionnait le maquis en arme mais avec parcimonie, sans oublier que c’était un maquis communiste et qu’un jour la guerre serait finie.

John Beja fut détaché en tant que traducteur auprès des Anglais, un poste que Maurice aurait bien aimé avoir aussi. Il semble que la vie était plus facile avec les Britanniques. Il n’eut pas cette chance.

C’était une vie de mouvement constant. Parfois, si un village était considéré comme libéré, les partisans pouvaient dormir dans les écoles ou les maisons, mais si ce n’était pas le cas il fallait vivre dans la forêt, sans tente, sans rien d’autre que les vêtements et les armes.



Aris Velouchiotis, le ched de l'ELAS, l'Armée de Libération Nationale Grecque

 

L’accueil dans les villages étaient parfois bon et parfois mauvais (l’histoire de la résistance en Grèce est compliquée et sort du cadre des péripéties de ce récit) mais à chaque fois il était possible de manger et de prendre quelques provisions. Maurice me raconta que pendant tous ces mois de maquis il perdit très peu de poids. Au même moment, dans les villes de Grèce la famine sévissait.

Le seul souvenir de faim de Maurice est celui où le groupe fut encerclé par les Allemands pendant une semaine. Il n’y avait pas de nourriture et les hommes finirent par manger les feuilles des arbres et de l’herbe. Finalement ils purent s’échapper et trouvèrent en route un monastère où Maurice se souvient d’un repas interminable.

Le 6 mai 1944, un mois avant le débarquement en Normandie, les Britanniques opéraient dans la région de Tempi et c’est là que Maurice était posté en protection des commandos, à l’extérieur du village de Karia au nord du mont Olympe.

A la jumelle, son groupe vit une colonne allemande d’environ quatre cents hommes avancer vers eux. Les maquisards étaient environ quatre-vingts, dissimulés sur les collines bordant la route. Celle-ci croisait un cours d’eau. Il faisait une chaleur étouffante et à un moment les Allemands décidèrent de se rafraîchir dans la rivière, abandonnant armes et uniformes.

L’occasion était trop belle, le groupe de Maurice ouvrit le feu et se lança à l’assaut tuant et blessant un grand nombre d’ennemis. Alors qu’il était arrivé tout près de l’eau Maurice reçu une balle qui lui pulvérisa le fémur. Il saignait abondamment. Un de ses compagnons essaya de le mettre sur une mule alors que les armes laissées par la colonne allemande étaient récupérées. Mais c’était impossible, la jambe était complètement disloquée, Maurice n’arrivait pas à tenir sur l’animal.

On décida de le laisser sur place dans la colline, le temps de revenir avec une civière. Le soir tombait et Maurice se dit que personne ne viendrait. Un avion survolait la zone mitraillant au hasard la colline. Il essaya de se camoufler au mieux, avec des feuilles et des branches. Il perdit connaissance à un moment et puis il entendit son nom et vit huit villageois et un compagnon qui venaient le chercher. Ils l’emmenèrent au village où un médecin faisant partie des commandos britanniques l’attendait. Il soigna comme il put la blessure et installa une attelle de fortune. Il fallait partir les Allemands allaient sûrement revenir sur les lieux. Maurice fut envoyé vers un autre village qui devait faire partie d’une zone libérée. Vers la fin de la guerre, les Allemands contrôlaient essentiellement les villes. Les campagnes leur devenaient interdites. Un hôpital de campagne était installé là. Il y avait cinq blessés légers et deux autres plus sérieusement touchés, l’un à la tête, l’autre à la jambe comme Maurice. Un chirurgien était venu d’Athènes. C’était Theodoros Lambrakis, le frère du député qui allait être assassiné sous la dictature des colonels à Salonique et dont le meurtre a été relaté dans Z, le film de Costa Gavras. Theodoros Lambrakis était un excellent chirurgien, il parvint à retirer la balle du blessé à la tête. Maurice se rappelle qu’il utilisait tout ce qu’il pouvait trouver à sa disposition, couteaux suisses, couteaux ordinaires, scies. Se fut un soulagement pour tous parce que ce blessé à la tête était devenu violent. Il a survécu. Pour Maurice, la balle fut extraite facilement mais la jambe était en morceaux. Un autre docteur de l’hôpital recommanda l’amputation parce qu’on manquait de tout pour prévenir la gangrène. Lambrakis n’était pas de cet avis. Plus tard il avoua à Maurice qu’il avait gardé une hache au feu pendant trois jours au cas où il aurait fallu couper la jambe. La gangrène ne s’installa pas mais la douleur était intense. On lui donnait de la morphine jusqu’au moment où il en redemanda davantage. Lambrakis refusa. Maurice est excessivement reconnaissant à Lambrakis à qui il doit d’avoir gardé sa jambe. Il mourut peu de temps après la fin de la guerre sans que Maurice ne puisse le revoir.

Les partisans changeaient constamment de village transportant leurs blessés en civière.

Dans un de ceux-ci il fallut évacuer en urgence l’infirmerie. Il était impossible d’organiser le transport. Les blessés furent cachés près d’une source hors du village. C’était très dangereux mais il n’y avait pas d’autres solution. Les blessés aux jambes ne pouvaient bouger et c’était celui qui avait reçu une balle dans la tête qui allait chercher l’eau qu’ils buvaient. A un moment les Allemands furent très proches. Le groupe resta très silencieux et heureusement ils ne furent pas découverts.

La blessure de Maurice était couverte de mouches et de vers, la démangeaison était intolérable. Après quatre jours cachés les blessés furent récupérés et Maurice montra, inquiet, sa jambe au docteur. Le docteur lui répondit « très bien, les vers se sont nourris du pus. Ils ont nettoyé la plaie »





Bill Felton, le médecin britannique qui le premier soigna Maurice

Bill Felton et un autre commando anglais dans un village de montagne.

En partant du ghetto il n’avait rien pris avec lui. Il portait une paire de bottines mais très vite, à force de marches dans la montagne, elles furent inutilisables. La plupart du temps ils allaient nu-pieds. Parfois les villageois leur donnaient des vêtements. Plus tard les Britanniques leur fournirent des uniformes.

Lorsque Maurice me raconta son histoire il me dit : « Rétrospectivement, je pense que j’ai fait le bon choix en partant dans la montagne.

Je n’ai pas lié des amitiés là-bas mais pendant la guerre nous étions très proches les uns des autres. La plupart des résistants étaient communistes membres du KKE (le parti communiste de Grèce). Je ne l’étais pas mais je trouvais qu’il y avait des points positifs dans leur idéologie.

La force et la résistance du corps m’ont profondément marqué, la manière dont l’organisme se guérit seul. J’avais un ami qui s’appelait Dick Benveniste. Il a attrapé la diphtérie. Il n’y avait ni hôpital, ni médecin et encore moins de médicament. A cette époque, l’Italie avait capitulé et des soldats italiens fuyant l’armée allemande qui était entrée à Athènes nous avaient rejoints. Un d’entre eux pris soin de Dick, le nourrissant alors qu’il n’arrivait même plus à ouvrir la bouche. Il s’en est sorti et a guéri. Il a pu revenir à Salonique, se marier et avoir des enfants. Je ne me souviens pas d’avoir eu ne fusse qu’une migraine ou de la fièvre. Pour nous laver nous nous baignions dans les torrents. L’eau était glacée mais cela ne nous faisait rien. »



Maurice est resté avec le même groupe jusqu’à la fin.

Lorsque l’occupant a quitté la Grèce, le groupe s’est lentement dissout. Les partisans des villes libérées sont partis les premiers ceux de Kozani et de Lamia. Salonique ce fut chose faite le 30 octobre 1944.

La vie politique allait reprendre, des élections se tenir mais tout cela se passait sans que Maurice n’y prenne part. Il était transféré d’un hôpital à l’autre. Il finit dans un palace qui avait appartenu à un pacha turc que les britanniques avaient reconverti pour les blessés de guerre. Le premier traitement qu’il reçut fut une désinfection totale qui régla leur sort aux innombrables poux qui l’avaient accompagné dans le maquis. Il y resta jusqu’à février 1945. Il ne cicatrisait pas. L’hôpital manquait de tout ce qui était nécessaire pour soigner sa blessure. On finit par immobiliser la jambe dans une gouttière de ciment mais l’anchylose s’installa. Il fallu casser le ciment. La douleur était immense comme la rééducation, mais au bout de celle-ci Maurice put se remettre à marcher. Les os se soudèrent mais de telle façon que la jambe resta plus courte de six centimètres. Elle ne le faisait plus souffrir et il put même faire du vélo. Ce fut pour Maurice une période d’intense bonheur. Il ne possédait rien mais il avait survécu et le soir sur les terrasses de la Méditerranée il retrouvait ses amis autour d’un ouzo.

Après quelques mois il voulut visiter son frère qui avait réussi à rejoindre Israël. Il demanda un passeport. Il lui fut refusé. On lui dit : « pour avoir un passeport vous devez dénoncer le communisme ». Maurice n’était pas communiste mais suite à la guerre civile qui avait commencé dès la libération et avait amené les proches des collaborateurs au pouvoir, il était fiché communiste pour avoir combattu dans les montagnes avec les partisans communistes d’ELAS.

Près d’un an plus tard, un officier lui rendit visite et lui annonça que son passeport lui serait accordé s’il en faisait la demande. Maurice se dit que pendant tout ce temps il avait dû être sous surveillance.

La situation économique était très difficile en Grèce après la guerre et Maurice partit pour Athènes.

Il épousa ma cousine Nini et ils eurent deux enfants. Il devint le directeur de la division vitamine de Roche jusqu’à sa retraite en 1993 alors que Nini représentait des fabricants britanniques de produits d’entretien.

Un soir, le couple invita à diner le propriétaire d’une des marques qu’elle distribuait lors de son passage à Athènes. Au mur du restaurant était encadré une affiche montrant les plus importants chefs de la résistance. En la regardant leur invité utilisa l’expression grecque de andartes qui désignait les partisans. Maurice lui demanda comment il connaissait ce mot. Il s’avéra que cet homme était médecin de formation. Il avait été amené à reprendre l’entreprise de son père mais pendant la guerre il avait été parachuté dans les montagnes. C’est ainsi que Maurice rencontra le médecin britannique qui lui avait donné les premiers soins lorsqu’il avait été blessé. Il s’appelait William Felton et Maurice ne l’a jamais oublié.

J’ai commencé à écrire ces quelques lignes le 8 mai. Ce jour là, partout en Europe, les chefs d’état déposaient des gerbes devant les monuments commémorant la fin de la seconde guerre mondiale. Traditionnellement ils s’adressent aux derniers résistants encore vivants qui ont, accroché au revers de leur veston les innombrables décorations reçues.

Ce n’est pas le cas en Grèce. Aucune célébration ne rappelle la fin de la guerre et de l'occupation. Maurice et ses compagnons n’ont reçu aucune décoration.

II aura fallu attendre 1982 et le retour de la démocratie, pour que sous l'impulsion du parti socialiste une pension de guerre soit allouée aux anciens partisans. Les blessures politiques de la guerre civile et ses atrocités ont laissé des traces profondes.

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