top of page
Photo du rédacteurMaurice Amaraggi

Le goût amer de l’impossible vengeance.


En tête de lettre envoyée le 17 novembre 1945 Au Joint Distribution Committee. Cette lettre est écrite en français. Elle est jointe aux annexes. On remarquera l'utilisation du français et de l'hébreu dans l'entête du papier à lettre.


La guerre finie, les survivants juifs revinrent à Salonique. Ils avaient quitté deux ans auparavant une ville dont ils représentaient une très large partie de la population et ils la redécouvraient vidée de ceux qu’ils avaient connus. Leurs propriétés avaient été distribuées à des occupants qui refusaient pour la plupart de les leur rendre. Les épreuves avaient été d’une cruauté inégale, certains avaient pu se cacher à Athènes ou dans les campagnes, d’autres avaient rejoint la résistance dans la montagne d’autres encore, les plus meurtris, revenaient des camps polonais.

Ils formèrent une association : « Union de deportados qui estuvieron en Polonia ». Cette organisation avait pour objet :


- L’aide morale et le support psychologique aux déportés, le maintien d’une solidarité entre eux dans leur lutte pour récupérer ce qui pouvait l’être des biens spoliés.

- Le châtiment des collaborateurs qui avaient aidé et tiré profit de la déportation.

- La création d’un service de documentation sur la persécution.

- La création d’un musée consacré à celle-ci.


Les collaborateurs juifs étaient les plus facilement atteignables. La justice grecque ne fit pas obstacle à ce qu’on les poursuive.


Le modus operandi de la spoliation et de la déportation avait été mis au point par Eichmann lorsqu’il organisa la confiscation des biens et l’émigration des Juifs d’Autriche. Il avait compris qu’il arriverait à ses fins très rapidement en utilisant le travail des Juifs et en les terrorisant pour qu’ils soient dociles. Une des composantes du dispositif était constitué par une police formée par les jeunes des communautés victimes les mieux à même pour reconnaître les membres de celle-ci. A Salonique, leur chef était un individu assez ignoble du nom de Vital Hasson. Il avait été choisi parce qu’il parlait allemand. La direction du Ghetto de Hirsch situé en face de la gare d’où partaient les convois faisait partie de ses prérogatives. Ce devait être un homme habile qui arrivait à donner le change. Lorsque, pour mon film « Salonique, ville du silence », j’ai interviewé Nina Benrubi, elle me raconta que sa famille, alors qu’elle était déjà dans le ghetto de Hirsch, avait remis ses bijoux à Hasson en lui demandant de les garder jusqu’à son retour..




Le Docteur Menasche




Les récits qui suivent proviennent d’un texte écrit par Meco Cohen, après son émigration aux USA. Ils relatent la chasse aux collaborateurs et la douleur de les voir revenir sains et saufs avec leur famille épargnée par la mort. Ils sont extraits d'un addendum aux Memoires du Docteur Menasche, rééditées il y a peu en anglais. Si le manuscrit du Docteur Menasche fut écrit en français, c’est en judeo-espagnol que Cohen s'exprime L’original a malheureusement été égaré. Meco Cohen était un membre dirigeant de l’Union des Déportés.

La page d'enregistrement de Menahem Cohen (Meco) à Auschwitz




Il raconte : « Un jour, les frères Amarillo qui avaient un commerce de vente de liqueur rue des Francs*, entrèrent dans les bureaux de l’association. Les frères Amarillo étaient les plus jeunes des survivants des camps. Un ami de leur père, un « Grec » qui était chauffeur de taxi à Athènes lui avait dit avoir transporté d’Athènes à Salonique Vital Hasson et il avait été réservé le lendemain pour faire le trajet de retour. Il devait le reprendre à 4h30 au « quartier 151 »* pour le ramener à Athènes. » ( Il semble que Cohen se trompe sur les messagers. le marchand de liqueur Amarilio n'avait pas de frère et n'avait pas été déporté. Il avait pu se cacher à Athènes. Il est plus probable que l'information ait été donnée par les frères Léon et Albert Isaac Angel. Je dois cette précision à la gentillesse du professeur Philip Carabott).


Meco Cohen demanda aux frères Amarillo de garder le secret sur cette information. Il convoqua une réunion d’urgence du comité directeur. Celui-ci se composait du président Levy Allalouf, de Victor Almosnino et Ino Tiano qui représentaient le groupe sioniste et sans doute d’autres membres dont les noms ne sont pas donnés. La décision de capturer Vital Hasson est prise et d’ensuite le pendre là où il avait sévi et qui avait été rasé après la fin des déportations ; le ghetto de Hisrch. Cohen mentionne l’opposition d’Almosnino et de Tiano. C’est le désir de vengeance qui anime les membres de l’union, ils ne souhaitent pas de procès mais la mort du collaborateur et c’est sur ce point qu’il y a divergence avec les dirigeants du groupe sioniste.



Ino Tiano et Levy Allaouf au premier mémorial à la déportation érigé dans le cimetière de Salonique


Plusieurs de ceux chargés d’enlever Hasson ne le connaissaient pas. Différents groupes s’organisèrent autour des entrées du quartier 151 avec parmi eux une personne capable de reconnaître Hasson. Cependant Almosnino, un des opposants à l’enlèvement, exposa à Vadoukakis, le responsable de la sécurité publique, ce qui se préparait. Différents inspecteurs en civil de la police grecque se postèrent alors aux entrées du quartier 151. Lorsque Vital Hasson apparut, Gabriel Eskenazi qui plus tard émigrera aux USA, l’interpella en judéo-espagnol : « Mira, Vital », Hasson ne répondit pas, Eskenazi insista en employant une tournure familière, « mira, Hassonico ». Hasson se retourna, répondit en grec : « je ne m’appelle pas Vital Hassonico » et il poursuivit son chemin. A ce moment Gabriel Eskenazi prit une matraque en fer dissimulée dans sa manche et le frappa à la tête. Il s’apprêtait à refaire son geste quand il fut empêché par les inspecteurs revolver au poing. Hasson ensanglanté fut emmené à l’hôpital puis incarcéré.

Le père, la première épouse et la soeur de Vital Hasson. Le père renia son fils avant son embarquement pour Bergen-Belsen. Cette photo fait partie d'une archive familiale extraordinairement complète reconstituée dans un livre "Family Papers" écrit par Sarah Abrevaya Stein.


Le lendemain Meco Cohen et un des conseils de l’Union, Raphaël Cohen reçurent l’autorisation de visiter Hasson en cellule. Celui-ci les menaça d’une dénonciation pour espionnage à la solde des Bulgares (considérés par les Grecs comme des ennemis quasi héréditaires. La Bulgarie alliée de l’Allemagne avait longtemps convoité Salonique). Hasson comptait aussi dénoncer comme communistes ceux qui avaient rejoint la résistance. Etre communiste à cette époque en Grèce, c’était être un ennemi du régime. Hasson a écrit des mémoires. Il serait intéressant de les lire. Il alla au-delà d’une collaboration de survie et tira profit du désastre. Il fut jugé, condamné à mort et fusillé. Il semble que ce soit le seul collaborateur juif qui ait connu cette fin.


Le second récit évoque le destin tragique d’un jeune homme amoureux. Il est rapporté par un survivant, Isidore Allalouf qui vient déposer au bureau de l’Union. Le frère de la fiancée d’Allalouf (Meco Cohen ne donne pas son nom) aimait Mathilde, une jeune femme déjà déplacée au ghetto de Hirsch dans l’attente d’une déportation prochaine. C’était un amour qui n’était pas partagé, Mathilde était amoureuse de celui qu’elle épousera plus tard. Cohen en donne le nom : Manfred Joel. Lui aussi est enfermé au ghetto, il a la charge du ravitaillement des cuisines et de l’alimentation. Mathilde recevait des lettres d’amour du jeune homme et les remettait à son fiancé. Dans une de celle-ci, il lui demande de le rejoindre le lendemain à 14h30. Il l’informe que tout est préparé pour s’échapper et rejoindre les partisans dans la montagne. Mathilde remet la lettre à Manfred qui à son tour la donne à Vital Hasson. Celui-ci envoie sa police au café où la rencontre doit avoir lieu. Un des policiers (je rappelle qu’il s’agit de jeunes Juifs) est un excellent ami du jeune homme. C’est lui qui passe le courrier du malheureux soupirant. Il entre par une porte latérale du café et fait semblant de ne pas le reconnaître. Malheureusement son ami se lève, et va à sa rencontre se désignant ainsi aux autres policiers qui l’arrêtent et l’amènent au ghetto. Un train se prépare à partir, Hasson fait embarquer immédiatement le jeune homme dans le convoi qui s’ébranle. Il mourra à Auschwitz. Pendant ses mois d’agonie il fait promettre à Isidore Allalouf de le venger. C’est pour cette raison que celui-ci qui a survécu raconte l’histoire à Cohen.


Un tribunal est improvisé par l’Union des Déportés complétée par le Groupe Sioniste (Il est intéressant de noter que Cohen fait systématiquement mention de ce groupe qui se joint aux actions de l’Union) devant lequel comparaissent Mathilde et Manfred. Deux avocats, Raphaël Cohen et Sam Nahmias sont présents. Ils demandent à Manfred et Mathile d’écrire une sorte de déposition dans laquelle ils doivent répondre aux questions suivantes :


1°) Qui leur a assigné leurs tâches dans le ghetto ?

2°) Comment Manfred est-il arrivé à Salonique ? Curieusement Menahem Cohen pense que Manfred fait partie de la « cinquième colonne »

3°) Pourquoi furent-ils envoyés à Bergen-Belsen avec les parents, le frère et la sœur de Vital Hasson, le capitaine des « Politifilacas » c’est-à-dire la police juive ; Edgar Cougno (le pharmacien et ses parents), le fameux Politifilaca «Sion » qui est revenu du camp avec sa femme et un enfant qui y est né?

Menahem Cohen considère que Bergen-Belsen est un camp privilégié où sont envoyés les collaborateurs. Un camp d’où les familles reviennent, où des enfants naissent alors que les Saloniciens sont exterminés dans les centres de mise à mort.


La déposition de Manfred et Mathilde se retrouve dans les archives de « l’Union de Deportados ». Elle éclaire la façon dont s’opère la sélection vers Bergen-Belsen. D’après eux, le représentant en Grèce d’Agfa, firme allemande, un certain Castro, s’était vu confier par l’occupant, la tâche de dresser la liste des privilégiés qui seraient déportés vers Bergen-Belsen. On comprend l’avantage qu’avaient ceux qui parlaient allemand et qui avaient commercé avec des entreprises allemandes. C’étaient les interlocuteurs obligés et privilégiés de Wisliceny et Brunner, les artisans de la déportation. Cohen écrit : « Naturellement il inclut dans cette liste les noms de sa femme, de sa fille, de son beau-fils et du frère de celui-ci, Alfonso Levy, ancien directeur de la Communauté Juive avec sa femme et ses enfants. Il inclut le fameux Albala, le maître d’œuvre de la collaboration, qui fit tout ce qu’il put pour satisfaire les Allemands comme par exemple leur fournir la liste des industriels les plus importants, les millionnaires, les personnalités. Il sauva sa femme qui le quitta plus tard et qui vit maintenant à Houston au Texas. Il sauva sa belle-mère et son beau-père Avram Benrubi, je ne sais pas s’il est encore en vie mais lui aussi émigra aux USA. Il sauva beaucoup d’autres dont je ne me rappelle plus les noms. Les avocats Cohen et Nahmias nous enjoignirent de ne pas maltraiter Mathilde et Manfred dans la mesure où la loi grecque demande des témoins directs des évènements. »


Finalement, outre Hasson, les collaborateurs juifs encore en vie, Albala, Sion, Counio, Levy furent traduits devant une cour de justice grecque. Les avocats Nahmias et Cohen se réunirent avec les membres de l’Union et les prévinrent que les accusés seraient probablement acquittés, à l’exception de Hasson, parce qu’il n’y avait pas de témoins directs pouvant porter des charges sérieuses contre eux.

C’est alors que les anciens déportés décidèrent de faire éventuellement des faux témoignages dans le but d’obtenir ces condamnations. En l’absence du texte original de Cohen, c’est ainsi que j’interprète la traduction anglaise du texte en judeo-espagnol: « This is when we decided to testify to non-truths, as a result of which Albala,was sentenced to fifteen years in prison, Sion, eight years, Edgar Counio, five years”. Il ajoute que des officiers de la police secrète et des Grecs orthodoxes témoignèrent également de façon tellement accablante que la peine de mort aurait dû être prononcée.



Yomtov Yacoel. Le conseil de la Communauté Juive de Salonique pendant l'occupation. Auteur de mémoires inachevées. Affecté au Sonderkommando à Birkenau et éxécuté. Peut-être retrouvera-t-on enterrée là-bas, la suite de son journal.


Voici comment Yomtov Yakoël, le conseil de la communauté pendant l’occupation décrit Jacob Albala dans ses mémoires inachevées :

« Depuis le début de l’occupation allemande, le président de la comunauté s’était vu désigné J. Albala comme assistant. C’était un réfugié venu de Vienne, il parlait bien l’allemand et servait d’interprète et de liaison avec les autorités allemandes. Le passé de cet homme jeune de quarante ans était quelque peu inquiétant. Il était né à Kastoria et très jeune s’était retrouvé à Vienne où pendant trente ans il gagnait sa vie en orientant des clients orientaux vers les cliniques et médecins de la ville. Depuis son arrivée à Salonique et son enregistrement à la communauté il vivait de l’aide accordée par la Commission de secours et d’assistance aux réfugiés venus d’Europe Centrale. »

Il ajoute que les autorités d’occupation obligèrent la Communauté à veiller et à subvenir aux besoins d’une trentaine de réfugiés venus d’Allemagne, de Tchécoslovaquie et de Pologne. La Gestapo mettait en avant cette « sollicitude » en réponse aux plaintes de la Communauté face à la dureté des conditions qui lui étaient imposées. Souvent dans les cercles juifs de la ville se manifestait des soupçons sur la condition de ces individus. Albala plus précisément avait été incarcéré par les autorités allemandes pour avoir tenté de tirer un profit personnel lors des négociations qui permirent d’exonérer de travaux forcés les hommes réquisitionnés à cet effet. » On sait que c’est à cette occasion que le cimetière israélite dû être cédé.

L’ensemble de ces considérations expliquent encore davantage l’animosité des déportés à voir revenir sains et saufs, accompagnés de leur famille, ces hommes qu’ils considéraient comme des collaborateurs. Ce n’était pas l’époque à une analyse et à une compréhension du fonctionnement des Judenraete. Cela explique les accusations contre le rabbin Koretz, dirigeant du conseil, assimilé lui aussi à un traitre.

On retrouve à Yad Vashem ce document qui reprend en anglais la requête effectuée par la Communauté au retour des camps.


The Petition

To the Commissioner of the Special Court for judging persons guilty of cooperation with the Germans.

LAWSUIT submitted by the Jewish Community of Salonika, represented legally by their President, Haim Moise Salitiel, resident of Salonika, on Vassilion Ireklion Street No. 24

AGAINST

1) Hirs Sevy Koretz, of unknown residence 2) Solomon Ouziel, merchant 3) Jack Albala, unemployed 4) Vital Hasson, taylor 5) Edgard Cunic, temporarily staying in Athens 6) Leon Sion, or Topouz, rag-picker 7) Albert Castro, photographer 8) Sack Max, unemployed 9) Yoel Groufter, unemployed 10) Ezra Barsilay, merchant 11) Joseph Hasson, merchant 12) Isaac Hasson, merchant 13) Joseph Errera, private employee 14) Gitta Koretz, house-keeper 15) Laura, wife of Jack Albala 16) Ida Jack, house-keeper 17) Moise Castro, private employee 18) Mathilde Yoel 19) Abram Benroudi 20) Djoya Hasson 21) Rebecca Benroudi 22) Louna Hasson 23) Alphonse Levy 24) Sol, wife of Alphonse Levy 25) Rosa Levy 26) Issac Beraha 27) Estrea Beraha 28) Valeria Saltiel 29) Nina Saltiel 30) Susy Saltiel 31) Derio Saltiel 32) Abram Seiaky 33) Reya Seiaky 34) Salomon Seiaky 35) David Menache 36) Marietta Menache 37) Issac Menache 38) Saoul Menache 39) Lida Errera 40) Haim Jack 41) Ida Jack 42) Leo Koretz 43) Lily Koretz 44) Paula Cohen 45) Julia Sarfatti 46) Bella Barzilay 47) Reyns Barzilay 48) Ida Ouziel 49) Marcel Ouziel 50) Daisy Castro 51) Fortunee Castro 52) Moise Castro 53) Rena Castro 54) Daniel Solomon 55) Plata Castro

Salonika, September 11, 1945.

Minutes of Special Meeting of the Board of the Jewish Community of Salonika, Held on Tuesday, September 11, 1945

The Board of the Jewish Community of Salonika held a special meeting today, Tuesday, September 11, 1945, at 3.00 p.m. in order to discuss the measures to be taken following the arrival at Sidirocastro of 53 persons from the concentration camp of Bergen-Belsen, where they were sent, through special privilege, by the Germans in 1943. Some of these people have to account for their close cooperation with the Rosenberg Commission, which was responsible for the persecution and deportation of the Jews; others have to explain their behavior as members of the Communal Council or of communal committees during the deportation period; and generally, all have to explain the special favor which the Germans granted them by sending them to a concentration camp considered to be of a privileged nature instead of sending them to the concentration camps and crematoria located in Poland.

The return of these persons has caused a tremendous uproar amongst the Jewish population of Salonika [...] After hearing the advice of those who attended the meeting, the following decisions were agreed upon unanimously:

(1) 16 persons, viz:

Castro Albert Albala Jacques Sack Max Barzilay Ezra Uziel Salomon Yoel Groufred Koretz Gitta Albala Lora Sion Leon (Topouz) Hasson Joseph Hasson Issac Errera Joseph Jack Ida Sion Buena Castro Moise Yoel Mathilde

will have to appear before the court. Some of them have manifestly cooperated with the Germans. Others, having been members of the Communal Council or of communal committees, or having been closely related to the principal accused parties, have to account for their direct or indirect actions during the deportation.

2) All the other persons (children excluded) whose sole indictment for the time being is that of having enjoyed the favor of the Germans, have to appear before the court and explain what prompted this special favor (since it is a well known fact that the Germans never granted anything to those who did not, in turn, serve them, still less where Jews were concerned). They must also give details regarding the conduct of the 16 accused parties listed above.

3) A notice will be posted in the offices of the Jewish Community inviting all those who have to depose against the 53 persons mentioned above to proceed immediately in the necessary formalities by bringing the required data to the relevant departments in the Community building. This data will complement the existing depositions.

4) The Legal Advisors, Messrs. Sam Nahmias and Rofel Cohen, are requested to file the necessary depositions with the Public Prosecutor. An accusation will likewise be filed with the Prosecutor against Vital Hasson and Edgard Cunic, whose generally acknowledged cooperation with the Germans is particularly disgusting. Both of them are now in Athens; the former is in preventive detention, and the latter is still free.

On behalf of the Communal Council, Haim Saltiel. President.

In January 1943, the Rosenberg Commission, consisting of a small number of German officers and soldiers belonging to the infamous SD GESTAPO, arrived in Salonika specifically for the purpose of persecuting the Jews. The Commission's purpose was to capture en masse all of the Jews of Salonika, to deport them to Poland, and generally to exterminate them and to appropriate all of their property. To achieve this objective, the Commission approached all low-class people in Salonika who were willing to serve and assist them in exchange for various forms of remuneration. The Commission asked for the assistance of the first 18 persons in the above list, who had willingly placed themselves under its orders. They thus became organs of the occupier and consciously contributed to the execution of a crime the likes of which has not been witnessed in human history. The first one accused, H. Koretz, who, as chief Rabbi and spiritual leader of the Jews of Salonika, had considerable influence on his flock, obtained an order from the Rosenberg Commission to be appointed president of the Jewish Community of Salonika. In addition to his religious duties, he also invested himself with political authority. With the assistance of those engaged by the Germans upon his suggestion, he began carrying out faithfully the orders of the Commission, even though he knew that he was assisting in the systematic destruction and extermination of the Jews of Salonika. Among those engaged by him were Solomon Ouziel and Jack Albala, liaison for the Chief Rabbi and President to the Rosenberg Commission, and later, also to the Town Civil Police Chief. In the course of this mission and under the leadership of Vital Hasson, the remaining 15 accused placed themselves under the orders of the S.D. GESTAPO SERVICE, which supplied them with authority to execute any unjust act of violence against any Jew or Greek Christian who assisted the Jews. Under the protection of the first 3 leaders and the immediate orders of the S.D., this gang of 15 thugs quickly took a census, concentrated 43,000 Jews in special closed quarters (Ghettos), and then captured and imprisoned them in the BARON HIRSCH concentration camp, from whence they were deported to death camps in Poland. They did this in a way that provoked terror and abhorrence throughout the whole country. But the capture and deportation were not the sole actions of this Commission. Before deportation, those who were to be deported were stripped of all possessions and were left naked. For this special task, Vital Hasson, Edgard Cunic and Leon Sion (Topouz) offered their services, thus becoming the absolute masters of the Baron Hirsch Concentration Camp. They arrested any Jew who according to their judgment might have hidden money or other precious objects. In some instances, in order to force them to reveal the persons to whom they had entrusted their property, the accused treated those Jews so cruelly that they were on the brink of death. These barbarians had substituted and surpassed the occupier in their savageness, thus turning the Baron Hirsch Concentration Camp into a place of martyrdom for any Jew who was suspected of having hidden money or other property. Furthermore, they converted this Camp into a place of orgies: together with the Germans, they violated any Jewish woman or girl in the presence of her parents and co-religionists to the shock of all concerned. The remaining 18 accused were also involved in this action: Albert Castro engaged and favored in various ways by the Gestapo service; Mr Sack Max and Yoel Groufter, treacherous Jews from Poland, were engaged […] by the Germans in the service of the Jewish Community of Salonika with the object of espionage and preparation of extermination work […]; S. Barzilay, I. Hasson, I. Errera, G. Koretz, L. Albala, I. Jack, M. Castro, M. Yoel, in remuneration for their services to the Germans, were spared the suffering experienced by other Jews by having the privilege of being transported to the Bergen-Belsen Concentration Camp, where only those who had offered important services to the Germans could stay. There, their lives were not threatened, and they had everything in abundance, while their co-religionists and the victims of their criminal acts were being gassed and burned in the crematoria, or were dying en masse […] in Poland. They had all kinds of pleasures at their disposal, even sexual enjoyment, as is evident by the fact that children were born in that camp. The remaining 37 persons accused also enjoyed this privileged position, having also been transported to the privileged Bergen-Belsen Concentration Camp. They were evidently given this privilege in exchange for services rendered to the occupier during the deportation of the Jews; it is known, after all, that Germans never give anything to anyone, and especially to Jews, without something in return.

As the above actions are punished by Clause 1, par. D.E. St. and Clause 4 of Legislative Act No. 6 of the year 1945, re sanctions to be imposed on those having cooperated with the enemy, as completed and modified by Act No. 12 of the year 1945 in Clause 88, 27 and 307 of the Penal Law in combination with Clause 56 of Penal Law

FOR THESE

we submit a lawsuit against them and ask that they be punished according to the law. The proposed witnesses are:

1) Issac Matarasso, doctor, Tsimiski street No. 93 2) Mentach Melho, landowner, Vassileos Iraklion No. 6 3) Joseph Amariglio, merchant Stoa Allatini 4) Victor Almosnino, merchant, Paraskevopoulos 16 5) Salvator Cunic, merchant, Vassileos Constantinos 17 6) Salomon A. Maissa, doctor, Vassileou Iraklion 24 7) David Jacob Bitran, merchant, Vassil. Trakliou 24 8) Levy Avram Allalouf, merchant, Vassil. Iraklion 24.

all residents of Salonika.



Photos d'identité du Rabbin Koretz


Le document présente des erreurs factuelles ainsi le rabbin Koretz ne peut avoir remis les documents de la communauté à la commission Rosenberg, la saisie de ces archives ayant été faite en 1941 alors que Koretz se trouve à Athènes


Il est impossible pour ceux revenus des camps de connaître l’énorme létalité des camps de Bergen-Belsen et de Theresienstadt où furent transférés les privilégiés. On fera le procès de ce qui apparaît comme un traitement de faveur accordé à ceux qui furent les plus dociles et transmettaient les ordres de l’occupant.


Le travail de l'historien.

L’arrivée au pouvoir en Grèce d’hommes autrefois proches de la collaboration, la guerre civile, l’organisation juridique de l’absence de poursuites contre les criminels de guerre allemands permirent l’émergence d’un roman national dans lequel les évènements survenus à Salonique où vivaient la majorité des Juifs de Grèce sont occultés par ce qui se passa à Athènes où n’était présente qu’une petite partie de la communauté et où une aide s’organisa qui permit le sauvetage de certains. Les procès et condamnations des collaborateurs juifs permirent l’émergence d’une version officielle de l’histoire dans laquelle les Juifs étaient les seuls responsables de leur malheur sans intervention particulière du pouvoir et des collaborateurs grecs de l’époque. Les lignes qui suivent sont écrites par le professeur Andrew Apostolou, elles documentent ce point de vue.


« L'État grec d'après-guerre a montré peu d'intérêt pour la commémoration de la déportation des Juifs, et encore moins pour leur souffrance. L'intérêt du public était inexistant. À aucun moment depuis la guerre, les questions de la collaboration et de l’indifférence des chrétiens pendant l'Holocauste n'ont été débattues au niveau national. Au mieux, elles ont été évoquées dans la littérature historique et dans les mémoires. Jusqu'en 1997, il n'y avait aucun mémorial aux Juifs déportés de Salonique dans un lieu public. Le manque d'intérêt pour le génocide des Juifs grecs a incité l’historienne grecque Rena Molho, à affirmer que "le silence sur le passé juif est un second meurtre, conscient ou inconscient." Le manque d'intérêt officiel et social pour une étude historique et morale sur le comportement des non-Juifs pendant l'Holocauste a créé une atmosphère qui découragea les études historiques et philosophiques. Les insuffisances de l'État grec ont également joué un rôle. La maigre littérature sur l'Holocauste en Grèce est en partie le résultat de la minceur des archives et documents officiels. En 1993, Mark Mazower, l'un des principaux historiens de la Grèce moderne, qualifiait les archives grecques de "honte nationale". Bien plus d'une décennie plus tard, malgré quelques petites améliorations, on peut considérer que Mazower a été trop généreux. Il n'y a pas de véritables archives en Grèce, simplement des décharges de vieux papiers officiels qui ne sont souvent pas correctement triés ou indexés.


La doxa officielle fut celle de l’absence d’implication des chrétiens grecs qu’ils fassent partie du gouvernement collaborationniste ou des civils. Ceux-ci faisaient de leur mieux pour sauver les Juifs

Non moins significant était le sous-entendu que les Juifs étaient en quelque sorte impliqués dans leur propre meurtre car, disait-on, certains Juifs grecs comme Zvi Koretz, le grand rabbin de Salonique, aidaient les Allemands. Ces deux éléments ont été combinés dans un prospectus de propagande du gouvernement en exil intitulé "Le Drame des Juifs hellènes", qui semble avoir été publié en 1943. L'historien Steven Bowman pense que Dimitres Pappas, le chargé d'affaires grec de l'ambassade du gouvernement en exil au Caire, a rédigé le texte. "Le Drame des Juifs hellènes" décrivait les Grecs comme "ayant refusé jusqu'au bout d'être utilisés comme instruments de persécution anti-juive, et ayant au contraire manifesté leur solidarité avec leurs compatriotes juifs " - une affirmation manifestement fausse, même sur la base des informations fragmentaires disponibles. Le pamphlet reprochait à Koretz d'avoir remis aux Allemands les listes des communautés juives de Salonique. En fait, Koretz n'a pas remis ces documents, et n'aurait pas pu le faire, puisque les Allemands les avaient saisis en 1941 alors que Koretz se trouvait à Athènes. Les opinions à l'intérieur de la Grèce étaient remarquablement similaires. Un rapport de Phaedon Kontopoulou, un étudiant grec chrétien qui a quitté Salonique en 1943, mentionne l'aide que Koretz a apportée pendant un certain temps aux Allemands, sous la contrainte. Kontopoulou n'a évoqué que de façon détournée une collaboration non juive, qu'il a qualifiée en affirmant que "certes, des déviations se sont produites, mais elles émanaient uniquement et exclusivement des organes de la Gestapo." Relayant une opinion qui allait devenir dominante après la guerre, Kontopoulou affirmait: « Je n'imagine pas qu'il y ait jamais un Juif qui ait l'audace de se plaindre de la population grecque », et : "Dans ces circonstances, le peuple grec a fait tout ce qu'il pouvait pour aider ses frères les Juifs grecs. De telles attitudes couplées à la propagande officielle ont, à long terme, fixé les paramètres de discussion des mémorialistes et des historiens. Ce désir fondamental de donner la meilleure image possible du comportement des non-Juifs grecs a également conduit à une mauvaise interprétation des informations provenant de la Grèce occupée pendant la guerre. A. L. Molho, écrivant du Caire en octobre 1943, affirma à tort qu'il y avait eu des "manifestations violentes" à Athènes au nom des Juifs de Salonique. Il y avait effectivement eu des manifestations à Athènes en février et mars 1943.

En fait elles étaient motivées par des rapports selon lesquels les Allemands prévoyaient d'imposer la mobilisation civile en Grèce ; les Juifs, n'étaient pas mentionnés.

Il n'y eut aucune manifestation publique contre la persécution des Juifs. Les protestations qui éclatent en juin 1943 après l'annonce de l'extension de la zone d'occupation bulgare en Macédoine aux régions proches de Salonique sont violemment réprimées et n'ont aucun rapport avec les Juifs. La vision favorable de l'attitude des non-Juifs envers les Juifs dans la Grèce occupée, et en particulier à Salonique, s'est formée malgré des indications troublantes que certains non-juifs manquaient à tout le moins d'aider leurs compatriotes juifs. Le gouvernement grec en exil a reçu, au cours de l'été 1943, un rapport des services de renseignement indiquant que les Juifs avaient été persécutés "sous le regard indifférent du gouverneur général de Macédoine, qui, semble-t-il, n'a même pas pris la peine de faire un rapport official des événements au gouvernement d’Athènes. D'autres preuves de l'attitude peu amicale des non-Juifs envers les Juifs dans la Grèce de la guerre, qui sont parvenues aux alliés de la Grèce, n'ont pas non plus été rendues publiques. Un rapport particulièrement frappant sur le comportement des non-Juifs à Salonique a été remis en mars 1944 à Burton Berry, le consul général américain à Istanbul, qui avait été en poste à Salonique entre les deux guerres. Quatre Juifs éminents qui avaient quitté la Grèce à la fin de 1943 vinrent voir Berry à Istanbul et se plaignirent du comportement des chrétiens grecs à Salonique : L'attitude du peuple grec envers les Juifs fut louée dans les termes les plus élevés. À l'exception des Grecs de Salonique, qui auraient eu une attitude antipathique et parfois hostile envers les Juifs pendant la persécution de 1943, les réfugiés juifs rendent le plus sincère hommage possible de respect et d'admiration aux Grecs qui ont constamment apporté leur aide, même au prix d'énormes sacrifices. Dans le même ordre d'idées, un réfugié a envoyé une lettre d'Istanbul à l'Agence juive en octobre 1943 qui disait : " Il faut reconnaître que les habitants d'Athènes se sont comportés de manière plus humaine que la population de Salonique. La difficulté pour les propagandistes du gouvernement grec était que ce n'était pas Salonique, où 70 % des Juifs grecs vivaient à la veille de la guerre, qui était l'exception, mais Athènes, où les Juifs étaient souvent cachés mais dont la population juive d'avant-guerre représentait moins d'un vingtième de celle de Salonique. À la fin de 1943, le récit qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui était écrit. Les preuves directes et oculaires d'indifférence et de passivité par rapport à la persécution des Juifs de Salonique, qui n'ont été réfutées d'aucune manière, ont été écartées au profit d'une propagande grecque non fondée et auto-congratulatrice


"La conscience grecque, n'est pas troublée" : Après la guerre, la suprématie de la propagande officielle a été exemplifiée par l'écrivain Elias Venezis, dont la biographie de 1952 de Damaskinos, l'archevêque d'Athènes et de toute la Grèce, adopte une vision complaisante du comportement des chrétiens grecs pendant l'Holocauste. Damaskinos s'était courageusement opposé aux déportations de Salonique et d'Athènes. Dans un tour de passe-passe, les lescteurs de Venezis ont utilisé les protestations de Damaskinos contre les déportations comme un moyen d'éviter les questions de collaboration et d'indifférence. La société grecque a ainsi pu échapper aux questions difficiles de la guerre en se cachant derrière le courage de Damaskinos. Aujourd'hui encore, on répond souvent aux préoccupations concernant l'antisémitisme en Grèce en évoquant la conduite héroïque de Damaskinos et de certains de ses collègues ecclésiastiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Venezis a écrit que "certainement, la tragédie des Juifs de Grèce s’est déroulée dans le cadre des mesures générales de l'hitlérisme contre les Juifs d'Europe. La conscience grecque en sort indemne car elle a fait son devoir sur cette question ». En réponse, l'historien Bernard Pierron s'est interrogé : " En Europe, quelle nation peut ainsi affirmer sa sérénité après l'Holocauste ? Si de nombreux autres pays, comme les Pays-Bas, ont eu une estime similaire pour leur propre conduite pendant l'Holocauste, ils ont finalement été contraints de remettre en question cette croyance. Ce récit de l'Holocauste en Grèce, qui bénéficie d'un soutien officiel, a implicitement transféré la responsabilité de la collaboration pendant l'Holocauste des chrétiens aux Juifs, insinuant ainsi que les Juifs avaient participé à leur propre destruction. Ce résultat a été obtenu en soulignant à plusieurs reprises l'aide chrétienne, en rappelant la collaboration juive limitée qui a eu lieu, et en négligeant obstinément la collaboration et l'indifférence réelles des chrétiens. Cette implication moralement effroyable n'était peut-être pas intentionnelle, mais elle traverse la version officielle jusqu'à ce jour. Les procédures judiciaires d'après-guerre, erratiques et sélectives, ont renforcé l'impression que, de tous les Grecs, seuls les Juifs grecs devaient répondre de leur collaboration à l'Holocauste. Aucun chrétien n'a été jugé en Grèce pour sa participation directe à la déportation des Juifs. En revanche, la communauté juive n'a pas hésité à nommer ceux qu'elle considérait comme des collaborateurs. Les tribunaux grecs ont jugé et exécuté Vital Hasson, un Juif de Salonique, pour son rôle dans la persécution de son propre peuple. De nombreux survivants juifs de Salonique ont estimé qu'ils avaient été trompés par Koretz (qui est mort de maladie en Allemagne à la fin de la guerre). La veuve et le fils de Koretz furent ostracisés par la communauté juive de Salonique et émigrèrent en Palestine mandataire. Si les Juifs ont confronté la question des quelques collaborateurs au sein de leur propre communauté, l'État et la société grecque étaient moins disposés à faire de même pour les collaborateurs non juifs, bien plus nombreux. Rien n'indique qu'il y ait eu une politique délibérée de punir les Juifs plutôt que les chrétiens après la guerre. Au contraire, les développements politiques ont en partie façonné la réponse officielle grecque. La volonté de poursuivre les collaborateurs allemands et d'autres pays de l'Axe, qui avait été forte en octobre 1944 lorsque les Allemands ont évacué la Grèce continentale, s'est rapidement affaiblie. Le gouvernement de libération grec en 1945 trouva difficile de définir les actes de collaboration susceptibles d’être poursuivis. Il dressa une liste longue et peu utilisable de catégories potentielles. Cependant, la Grèce d'après-guerre ne connut pas la paix après la fin de l'occupation allemande, titubant dans une guerre civile de 1946 à 1949 suivie d'une forme de démocratie limitée. Salonique est devenue une ville de première ligne dans cette guerre entre la résistance de guerre dominée par les communistes, soutenus par les voisins communistes du nord de la Grèce, et un groupe d'opposition.

Des exemples d'abnégation et de sacrifice ont certainement existé à Salonique, mais on peut les compter sur les doigts d’une main. Les Juifs grecs ont contesté le récit de propagande dans leur livre commémoratif d'après-guerre, qui fournissait un compte rendu radicalement différent et précis du comportement des Grecs pendant l'Holocauste. Aucune discussion plus large n'a toutefois eu lieu, en partie parce que la communauté juive, faible et vulnérable, n'a pas contesté la version officielle dans l'arène publique. Les survivants ne pouvaient que perdre à remettre en question la propagande de l'État grec. Les survivants de Salonique qui revenaient des camps ou sortaient de la clandestinité grâce à l'aide des chrétiens se heurtaient souvent à une réponse hostile des non-Juifs qui occupaient désormais leurs biens et qui avaient fini par croire qu'aucun Juif ne reviendrait jamais. Un Juif qui avait survécu et était rentré en Grèce était qualifié de "savonnette inutilisée". Cette hostilité envers les survivants juifs en Grèce n'était pas seulement le fait des pilleurs et des collaborateurs chrétiens ; le gouvernement de libération grec a également profité de l'après-guerre pour tenter de révoquer les passeports des Juifs grecs vivant à l'étranger, dont certains avaient activement soutenu l'effort de guerre grec, soit pour les empêcher de récupérer leurs biens, soit simplement pour réduire le nombre de Juifs grecs dans le pays. Ce qui restait de la communauté juive de Salonique a édité une étude mémorielle en trois volumes sur la persécution des Juifs grecs, intitulée In Memoriam. Rédigée en français, elle est à ce jour la seule histoire complète de l'Holocauste en Grèce. Les deux premiers volumes ont été publiés en 1948 et 1949 à Salonique. Le troisième volume, qui traite avec une franchise remarquable du rôle de la municipalité de Salonique dans la destruction du cimetière juif historique de Salonique, a été publié à Buenos Aires en 1953. L'auteur principal était le rabbin Michael Molho, qui a survécu en dehors de Salonique avec l'aide de chrétiens grecs. Dans le premier volume, il notait comment l'attitude serviable des chrétiens athéniens était utilisée pour détourner l'attention des événements de Salonique. Molho savait qu'il devait être prudent. La communauté juive d'après-guerre était démunie et dépendait de l'État grec suspicieux pour sa protection. Molho, qui a plus tard émigré de Grèce et s'est installé en Argentine, a critiqué la version de propagande de la manière suivante : Il est également commode de s'appuyer sur la conduite admirable de milliers de familles orthodoxes de la capitale, qui, au mépris des châtiments les plus terribles, ont apporté assistance, protection et asile à deux ou trois mille Juifs pendant de longs mois, et l'on peut citer des centaines de cas où les très pauvres, vivant dans des taudis, ont généreusement partagé le peu qu'ils avaient avec les malheureux Juifs qu'ils hébergeaient secrètement, et auxquels les Juifs doivent la vie. Mais à Salonique ce ne fut pas la même chose et très peu de familles purent se cacher dans la ville.

Le récit dominant du sauvetage et de la sympathie des chrétiens grecs pour les Juifs est devenu une telle norme dans l'après-guerre que lorsque des occasions se sont présentées de remettre en question le supposé soutien écrasant aux Juifs, elles n'ont pas été saisies.

Bernard Pierron, dont la vaste thèse "Histoire des relations entre les Grecs et les Juifs de 1821 à 1945" a été publiée dans une version abrégée sous forme de livre,se concentre sur les relations entre la communauté juive et l'État grec avant la Seconde Guerre mondiale et utilise largement les archives de l'Alliance israélite universelle, ainsi que les journaux de l'époque. Bien que Pierron ait utilisé peu de documents d'archives sur la période de l'Holocauste, il ne se fait aucune illusion sur le comportement des chrétiens grecs et de l'État grec. L'importance de la section de Pierron sur l'Holocauste réside dans le fait qu'il aborde dans la presse ce que l'on sait en privé : les chrétiens de Salonique se souciaient souvent peu du sort de leurs compatriotes juifs mais s'empressaient de voler leurs biens une fois les Juifs déportés.



Contrairement à Pierron, les historiens Fleischer et Mazower n'ont pas abordé en profondeur la question du comportement des chrétiens pendant l'Holocauste, bien qu'ils aient utilisé des archives de l'époque de l'Holocauste. Fleischer a soulevé la question de l'attitude des chrétiens à l'égard des Juifs, bien qu'il ait atténué ses commentaires afin qu'ils ne soient pas perçus comme trop critiques. Par exemple, il a soutenu en 1993 que l'hostilité envers les Juifs provenait de la perception qu'ils ne pouvaient pas être facilement assimilés et qu'ils n'avaient pas bien accueilli la conquête grecque de Salonique en 1912, des affirmations qui ne sont pas particulièrement contestables mais qui reconnaissent l'existence d'une animosité grecque chrétienne envers les Juifs. Pourtant, il adoucit immédiatement le choc : "Ces remarques ne minimisent cependant en rien la contribution de tous les Saloniciens qui ont aidé leurs compatriotes juifs, mettant ainsi leur propre vie en danger". L'explication apologétique de Fleischer résume la littérature sur l'Holocauste en Grèce. Les historiens qui se demandent comment les chrétiens ont réagi à la persécution de leurs compatriotes juifs nuancent instantanément leur question en niant qu'ils dénigrent les sauveteurs. Cette incapacité à distinguer entre les différents groupes de non-Juifs grecs, entre ceux qui n'auraient pu jouer aucun rôle, ceux qui étaient indifferents, ceux qui ont pillé les biens juifs et ceux qui ont activement aidé les Allemands, est un obstacle majeur à toute analyse sérieuse du comportement des chrétiens pendant l'Holocauste en Grèce. Fleischer a adopté une approche similaire dans sa contribution à l'Istoria tou Ellinikou Ethnous (Histoire de la nation grecque), un ouvrage de référence standard. Sans nier la différence frappante entre les réactions des non-Juifs à la persécution des Juifs à Salonique et à Athènes, il explique qu'elle résulte de différents niveaux d'assimilation juive qui auraient influencé la volonté des chrétiens d'aider les Allemands ou d'aider les Juifs. À propos de Salonique, Fleischer a cité les raisons suivantes pour expliquer les pertes considérables de Juifs :

1) La première qui pourrait expliquer un certain degré d'hostilité des chrétiens à leur égard : la question de la langue (de nombreux Juifs de Salonique parlaient le judéo-espagnol plutôt que le grec).

2) les liens familiaux étroits entre les Juifs, qui faisaient que les jeunes Juifs ne voulaient pas abandonner leurs parents.

3) L'absence de zone sûre contrôlée par la résistance dans laquelle les Juifs auraient pu fuir.

Fleischer n'a pas examiné davantage les raisons de l’indifférence des chrétiens de la ville face au drame auquel ils assistent. Il a plutôt accentué des aspects positifs là où il put les trouver. Il aborde à peine la question de la collaboration chrétienne, préférant mentionner le sauvetage des 275 Juifs de l'île de Zakynthos. Mark Mazower, l'autre historien principal de la Grèce de la Seconde Guerre mondiale, a adopté deux positions différentes sur la question des attitudes grecques face à l'Holocauste. Mazower est un historien majeur de la Grèce, d’une grande érudition et très prolifique. Il est l'auteur de six livres, sur la Grèce dont cinq ont des chapitres se rapportant à l'Holocauste. Cette production importante et internationale a porté l'histoire de la Grèce moderne à l'attention d'un plus large public. Pourtant, alors que Mazower écrit sur l'Holocauste, il se demande également si tout n’a pas déjà été écrit à ce sujet et si la recherche est encore nécessaire.





Dans ces premiers ouvrages Mazower a ignoré en grande partie la collaboration chrétienne pendant l'Holocauste en Grèce et le rôle de l'antisémitisme local. Plus tard il a pris en considération ces deux facteurs, mais, comme Fleischer, il en dissipe l'impact et a tenté de minimiser leur importance. Sa position qui ne remettait pas en cause la version officielle mais s'y conformait, a été reprise dans son livre paru en 1993 sous le titre « Inside Hitler's Greece ». Il écrit : "dans l'ensemble, les Grecs orthodoxes ont fait preuve d'une générosité d'esprit remarquable envers les Juifs, qui soutient la comparaison avec celle de tout autre groupe en Europe". Il a résumé la réaction des chrétiens grecs par "la désapprobation écrasante des Grecs à l'égard de la politique allemande envers les Juifs". En 1993, Mazower ne considérait pas l'antisémitisme chrétien grec local comme un facteur significatif. Selon lui "la vulnérabilité des Juifs dans la capitale macédonienne devait moins à l'indifférence ou à l'hostilité de leurs compatriotes grecs qu'au fait qu'ils étaient les premiers à être persécutés. " Mazower ne mentionne pas le pogrom de Campbell en 1931 dans le chapitre qui traite de l'Holocauste, bien que certains de ceux qui avaient été impliqués dans le déclenchement de cette émeute antisémite soient devenus des collaborateurs très actifs des forces d’occupation. Il a abordé la participation des chrétiens au pillage des biens juifs, mais pas leur rôle dans les persécutions et les déportations qui ont précédé. Curieusement, Mazower a négligé les preuves de l'implication de Simonides dans la réquisition en juillet 1942 des hommes pour des travaux forcés qui s’avérèrent extrêmement meurtriers. Le rôle prépondérant dans ce processus est établi dans un document publié en 1962 par l’organisme chargé des restitutions. Celui-ci avait pourtant été consulté par Mazower pour son livre paru en 1993. Il s’est également abstenu dans son récit de mentionner des faits qui auraient été incompatibles avec la doxa officielle exonérant les Grecs orthodoxes de toute responsabilité.


Dans « Salonica, City of Ghosts : Christians, Muslims and Jews, 1430-1950 » paru en 2005 Mazower décrit l'État collaborationniste grec et l'implication des chrétiens grecs dans l'Holocauste et évoque le rôle de Simonides en tant que collaborateur. Cependant il minimise l’impact de la collaboration et de ses conséquences, en ajoutant que " la solidarité a été manifestée par de nombreux amis et voisins lorsque les Juifs ont été chassés de leurs maisons et enfermés dans les ghettos. " Cette affirmation est contredite par ce qu’écrivait cinquante ans plus tôt le rabbin M. Molho, le principal historien contemporain de l’époque. Molho écrivit dans In Memoriam « de tels exemples d'abnégation et de sacrifice ont certainement existé à Salonique, mais on peut les compter sur les doigts d’une main »

L’historien des Balkans Noel Malcolm a dit de City of Ghosts : "on pourrait soutenir que Mazowerwer a traité avec une certaine indulgence l'une des questions les plus délicates de l'histoire grecque". Selon Malcolm, [...] la question de l'antisémitisme grec (un phénomène mineur, mais occasionnellement important dans cette histoire) n'est pas correctement explorée ici : l'hostilité envers les Juifs reçoit, chaque fois que cela est possible, une explication politique, et la nature de son arrière-plan religieux orthodoxe n'est pas étudiée. Le fait que Mazower, l'historien le plus lu et le plus connu de la Grèce et de l'Holocauste en Grèce, n'aborde pas ces questions est logique étant donné ses doutes quant à l'importance de poursuivre les recherches sur l'Holocauste. Dissertant sur l'affaire Waldheim dans les années 1980, il déclare : " L'accusation selon laquelle Waldheim avait été impliqué dans la Solution finale - infondée comme cela s'est avéré – révèle la prééminence de l'Holocauste dans la réflexion sur la Seconde Guerre mondiale. " Commentant les récents travaux et ajouts scientifiques à l'historiographie de l'Allemagne nazie et de l'Holocauste, Mazower s'est demandé "ce qu'il reste à apprendre". En Grèce, la réponse doit être que beaucoup reste à apprendre et beaucoup à désapprendre. Plus de soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le débat sur l'Holocauste en Grèce, et son épicentre à Salonique, reste largement enfermé dans les limites de la propagande de guerre.


La force de l'autocensure de la société grecque sur la discussion de la collaboration à l'Holocauste et la prégnance du mythe du sauvetage par la population locale ont fait que même l’évocation de l'indifférence en tant que possibilité , et plus encore en tant que fait, est inacceptable. Les différentes éditions des mémoires de Jacques Stroumsa, un ancien élève de Yomtov Yacoel, illustrent comment cette question fondamentale est esquivée par les traducteurs. À la fin de ses mémoires, intitulées « Tu choisiras la vie », Stroumsa répond à des questions qui lui sont souvent posées, notamment celle de savoir pourquoi si peu de Juifs ont été hébergés par des chrétiens à Salonique. La traduction grecque des mémoires offre une version differente de celle donnée dans les éditions hébraïque et française. L'édition française, texte original, laisse entendre que les relations entre les chrétiens et les juifs de Salonique étaient distantes : Pendant l'occupation, l'espoir de se réfugier dans des familles chrétiennes était absolument grotesque. D'abord parce que les Juifs parlaient le grec avec un accent particulier et qu'ils auraient donc été immédiatement dénoncés, ensuite parce que ces familles auraient refusé de les cacher (à quelques rares exceptions près). La traduction hébraïque de ce texte français n'est pas littérale, mais explique avec précision que " les liens entre la communauté juive et la communauté chrétienne ne permettaient en aucun cas à de nombreux Juifs de se cacher. La traduction grecque donne une impression différente en insistant sur le danger pour les sauveteurs chrétiens plutôt que sur la réticence des chrétiens à aider les Juifs. Les mots suivants qui ont été ajoutés au texte grec à la fin de la citation ci-dessus dans l'original français ont pour objet d'excuser l'indifférence des Saloniciens confrontés à la déportation de leurs compatriotes; "et deuxièmement, parce qu'à part quelques familles, il n'y en avait pas beaucoup qui accepteraient une entreprise aussi dangereuse, qui mettrait leur vie en danger". L'édition grecque de Choose Life a été publiée par Etz Haim (Arbre de vie), l'imprimerie de la Communauté juive de Salonique. Elle témoigne de la quasi obligation d’une adhésion aux thèses officielles même chez ceux qui la savent fausse. (ajoute personnelle au texte du Prof. Apsotolou).

















En 2006, lorsque j’ai tourné mon film « Salonique, ville du silence » j’ai été en relation avec Mark Mazower et Fleisher. Ce dernier ne souhaita pas s’exprimer. Il disait ne pas être un spécialiste de l’histoire de la ville. Mazower, très amical dans nos échanges écrits ne souhaita pas apparaître à l’écran.


Il faut terminer sur une note optimiste en ce qui concerne les historiens grecs de qui étudient l’occupation et la collaboration. Depuis la fin de la première décennie du XXI é siècle et malgré l’état catastrophiques des archives ils sont nombreux à affronter de façon sérieuse les questions évoquées ci-dessus. Un travail important, difficile et peut-être dangereux reste à faire sur la collaboration et les transferts économiques qui s’effectuèrent grâce à la déportation. Il faut espérer qu’ils puissent mener à bien leurs recherches en souhaitant et que le résultat de celles-ci soient traduits dans des langues internationales. Alors l’histoire de la destruction des Juifs de Grèce cessera d’être le parent pauvre et ignoré des études sur l’holocauste.




Joe Halio qui préside aux USA la Foundation for the Advancement of Sephardic Studies & Culture a eu l'amabilité de me faire parvenir une des rares photos de Meco Cohen après son émigration aux USA où il se mariera à nouveau. Sa première épouse fut tuée en déportation. C'est un exemple de résilience. Il a survécu avec son ami Levy Allalouf dont je joins également le témoignage écrit dans un français assez approximatif. Ce document est établi dans un camp à Bucarest, alors qu'il est en route avec Cohen, à pied, pour Salonique après leur libération par les troupes russes.



Meco et Fanni Cohen à New York




























189 vues0 commentaire

Comments


Post: Blog2_Post
bottom of page