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Photo du rédacteurMaurice Amaraggi

Salonique libérée. Suite du rapport de Jean Lieberg


Avec le départ des occupants commence une période de flottement. Ce n’est pas une armée organisée qui occupe la ville, ce sont les partisans de l’EAM ELAS , une guérilla que Jean Lieberg décrit comme suit :

« Aux environs de 13h, alors que la pluie commençait à tomber, les libérateurs sont arrivés. Mais quels libérateurs ! Une ramassis de petits groupes, beaucoup pieds nus avec des mules, des chèvres et même un chien. Aucun ne portait d’uniforme et les armes étaient de toutes origines. Tous les styles étaient présents, du siècle passé à nos jours. Une préférence pour les casques allemands était notable. On aurait pu s’attendre à voir quelques troupes britanniques mais on pouvait seulement deviner à leur costume, quelques Anglais en civil. La célébration de la victoire fut d’autant plus décevante que plusieurs des libérateurs arboraient des drapeaux russes.

Graduellement la population, tous âges confondus s’est jointe aux partisans et, fait intéressant, parmi elle des déserteurs allemands en uniforme mais sans insigne, faisant le salut communiste avec le même enthousiasme que celui dont ils témoignaient peu de temps avant lorsqu’ils faisaient le salut nazi. La police était totalement absente, le tout se passait dans le plus grand désordre, au milieu des cris et des tirs en l’air, alors que l’on espérait ne plus en entendre.

Les coups de feu continuèrent le lendemain. Parmi les manifestants, de plus en plus de jeunes garçons, de femmes, de jeunes filles ayant même à peine six ou sept ans. Beaucoup d’entre eux portaient des casques allemands et des drapeaux russes. Tous reprenaient des mots d’ordres diffusés par les mégaphones : « ekdikissis » (vengeance), « oti theli o laos » (ce que veut le peuple ) ou « laocratia » (démocratie), et les poings étaient tous levés pour le salut communiste. Derrière les cris et le désordre on pouvait deviner le dessein qui se mettait en place.


Le premier novembre, la population fut appelée à se réunir sur les quais, la rue Tsimiski et le square Sofia pour applaudir la parade des troupes de l’ELAS et les organisations de travailleurs. On aurait pu s’attendre à une célébration nationale, mais on assista plutôt à une grande manifestation d’unification de l’ELAS et du parti communiste le KKE. La bolchevication de l’ELAS était un fait et la ville avait basculé dans une dictature rouge.

L’ELAS était sous le commandement du général Bakerdjis qui avait pour aide un certain Marcos Vaphiadis. J’ai rencontré Bakerdjis. Il m’a fait une impression presque aristocratique, parlant un français parfait. Il avait paraît-il, terminé une instruction d’officier avec mention en France. La police qui avait disparu des rues, fut officiellement dissoute et remplacée par une milice citoyenne qui occupa tous les commissariats. Une cinquantaine de conseils communaux furent créés ici et là. Leur tâche était de superviser la diffusion de la propagande dans leurs zones.


Il fallu attendre une semaine environ pour voir arriver des petits contingents de troupes anglaises Ils vinrent par la mer, après qu’un passage fut déminé permettant l’accostage de petits bateaux et de navires de ravitaillement. Le déminage se poursuivait continuellement et on pouvait entendre le bruit constant des détonations.

Plus loin dans la baie, on apercevait une trentaine de navires ce qui faisait espérer une véritable invasion apportant de l’ordre dans la ville. C’était une attente d’autant plus justifiée que les manifestations bruyantes continuaient quotidiennement. Tout travail était arrêté suite aux grèves dans les télécommunications, l’électricité, le commerce, l’approvisionnement en eau.


Les premières troupes britanniques furent des contingents venus de l'Empire britannique.


Notre bureau continua son office sous de nouvelles difficultés. Les dirigeants rouges voulaient nous contrôler également. Ils pouvaient décider par exemple d’augmenter les rations de pain sous prétexte que les fournitures de la Croix Rouge étaient celles du peuple, sur lequel ils avaient autorité. Ils battirent en retraite lorsque nous leur annonçâmes que les délégués de la Croix Rouge arrêteraient leur mission. Ce fut encore pire lorsqu’ils pillèrent nos magasins et saisirent les vivres laissés par les Allemands. Celles-ci étaient des prises de guerre légitimes suivant eux.


Les visites des bateaux sont faites sous le contrôle des partisans


Les attentes que nous et la population modérée plaçaient dans l’arrivée des Anglais furent en partie rencontrées. Le nouveau Brigadier Général que nous avons immédiatement contacté, plaça des gardes devant nos entrepôts. Les britannique firent parvenir d’Athènes des drachmes indexées sur la Livre mais ils ne purent empêcher leur confiscation par l’EAM. Celle-ci distribua 1000 drachmes aux travailleurs et fonctionnaires qui la soutenait. Les Anglais étaient passifs face à beaucoup d’autres problèmes, ce qui n’était pas un bon signe pour l’avenir. Aux environs du 10 novembreles troupes britanniques étaient arrivés en nombre, tous par la mer.

Le 13 novembre le nouveau gouverneur général de Macédoine et représentant du gouvernement de Papandreou, Monsieur Modis arriva d’Athènes. Peu de jours auparavant le gouvernement avait aussi envoyé le Général Avramidis avec pour charge, en tant que gouverneur militaire, de créer une garde nationale chargée de remplacer l’ELAS.

La population modérée acclama Modis lorsque celui-ci rejoint la première parade militaire anglaise, la seule que j’eu l’occasion de voir.


Les espoirs de normalisation furent de courte durée,. L’ordre de PapAndreou de désarmer les partisans fut rejeté et des manifestations violentes furent organisée par EAM/EALS. Ils accusèrent Papandreou d’être un royaliste fasciste comme George II, et un dictateur en plus.


A la fin de novembre, le Général Ronald Scobie, Commandant des forces unifiées grecques et britanniques lança un appel solennel au peuple grec, dans lequel il apportait son soutien au gouvernement légal de Papandreou et se voyait forcé de désarmer les partisans, avec une date butoir fixée au 10 décembre.


Le Lieutenant Général Ronald MacKenzie Scobie. Un des artisans majeur de la guerre civile qui suivra la libération.

(hors du portfolio Lieberg)


Lorsque cet appel fut connu à Salonique suite à sa publication dans deux journaux communistes et au lâchage de tracts par les avions anglais, de nouvelles manifestations commencèrent dans lesquelles étaient dénoncées les intentions de Papandreou de livrer le peuple aux forces fascistes et aux milices de sécurité. Ils rejetèrent l’ingérence britannique dans les affaires intérieures grecques. Il n’y eut pas d’affrontement avec les forces britanniques dont la passivité augmenta. Les manifestants se satisfirent de l’élimination de tous les drapeaux anglais de la manifestation.



Ce ne fut pas avant les violents évènements du 3 décembre à Athènes ,qui furent suivis d’une guerre entre EAM-ELAS d’un côté et le gouvernement officiel avec les nationalistes d’EDES, appuyés par les britanniques, qu’une coupure nette s’opéra à Salonique ,entre les Anglais et les partisans.


Le Général Saraphis, Le Lt. Général Scobie, le Général Napoleon Zervas de l'EDES. La coalition qui affrontera l'EAM/ELAS


Il n’y eut cependant jusqu’à mon départ le 19 décembre aucun combat, sans doute parce que les partisans étaient moins nombreux que les britanniques qui comptaient au moins une division de troupes « indigènes ». De nombreux navires de guerre étaient dans la baie dont le fameux Ajax sur lequel, plus tard, Churchill tint ses conférences à Athènes.



Le 6 décembre éclata une grève générale qui perturba fortement les activités de la Croix Rouge. Les manifestations étaient de plus en plus intenses et dirigées tant contre les Britanniques que contre Papandreou. Le gouverneur général Modis fut destitué et remplacé par un trumvirat ; le général Avramidis fut démis et son poste occupé par un membre d’ELAS.

Les tentatives de tenir Salonique hors de la mainmise communiste avaient échoué. La domination rouge se développa sans être sanglante pour autant. Des milliers de gens furent arrêtés, souvent pour des motifs futiles, comme d’avoir été vus avec des Anglais. Les prisons et les camps se remplirent à nouveau. Des milliers d’habitants furent forcés de loger des partisans qui continuaient à affluer dans la ville. Je me suis trouvé moi-même confronté à un couple de policiers, qui en dépit du signe de la Croix Rouge sur la porte, se conduisirent assez agressivement.



La résidence de jean Lieberg sur la Paralia


Le partisan gardant l'immeuble de Jean Lieberg


Beaucoup se souvenait des déclarations allemandes suivant lesquelles ils seraient regrettés. Mais le conflit ouvert était évité sans doute remis à plus tard. Le commandant rouge avait déclaré que, quoi qu’il se passe à Athènes, Salonique ne se rendrait jamais.

Notre bureau préparait sa fermeture, la Macédoine et Salonique n’allaient plus être couvertes par la Croix Rouge grecque. Nos entrepôts étaient à présent approvisionnés par les Britanniques et nous avions établi une bonne relation avec le Military Liaison qui nous permit de continuer nos distributions et même l’accroissement de la ration de pain passant ainsi 70 à 120 drammia. Le 15 décembre le bureau fut fermé et je quittai la ville le 19 sans cérémonie aucune. A cette date, l’activité commençait à reprendre dans la ville, malgré les remous politiques. Les magasins avaient rouverts et un nombre considérable de cargos débarquaient leurs chargements sur le quai Niki. Le charbon dont la ville avait le plus grand besoin faisait partie d’une de ces cargaisons. La nouvelle drachme stabilisée et les BMA shillings ( émis par la Britis Military Authority) aidèrent à ce nouveau départ. »


Jean Lieberg gagne d’abord Athènes où il arrive au milieu des combats entre Britanniques, nationalistes, anciens collaborateurs et communistes. Il parvient à embarquer dans un avion pour la Suède, non sans mal et après un retard dû à l’arrivée inopinée de Churchill à Athènes. La guerre civile a commencé, rendue inéluctable sans doute par les accords de Yalta. Les anciens collaborateurs seront repris dans la lutte contre les résistants au nazisme et leur faction arrivera au pouvoir. Ce moment d’histoire, unique en Europe occidentale signera le futur politique de la Grèce et contribuera grandement au "toilettage" des archives, rendant plus difficile la recherche historique.


Le renversement d'alliance ne se fit pas cependant sans mauvaise conscience du côté britannique comme en témoigne cette question adressée par le parlementaire Wilkes, le 22 octobre 1946:


On the authority of two Members of the House and of officers with whom I served for nearly a year in Greece, and who later became members of the police mission in Greece. I am not making political propaganda, or retailing newspaper reports. I had a year in Greece and some few weeks under the last part of the German occupation. During ​ the occupation of a country you find out who are Britain's friends and who are not. Today, we have a situation—and Members have seen it on the tape—where Greek army officers and N.C.Os. are being executed because they are warning the so-called bandits in the mountains of impending army drives against them. Over 50 men and women have been executed in Northern Greece during the last month. That is according to reports in "The Times" and the "Manchester Guardian." I would like to point out to the Minister of State, who is to reply to the Debate, that not one quisling of officer status has yet been executed in Greece, not one. Yet over 50 men and women of the Resistance have been executed recently in Northern Greece. We and our experts are apparently deeply enough committed in the affairs of Greece to receive discredit for the discreditable things which are done there, but we are not sufficiently committed, in an executive capacity and with the necessary authority, to be able to alter the course of events, and to insist that before aid is given decent conditions and behaviour should be observed by the forces supporting the Government. That is an entirely false position in which to place this Labour Government and the British people.

Why cannot we insist on conditions being observed in Greece, just as we insist on conditions being imposed in Poland, Yugoslavia and Albania? So long as the present situation continues, in which the choice is given to men of the Resistance between prison or going into the mountains or being exiled, they will go into the mountains, and people who are now called bandits will grow in numbers until we shall be faced with an explosive situation in which an international crisis will fast move towards an unhappy culmination. Therefore, I call on the Government to change their policy, and to insist on decent conditions being observed before further aid is given.

Since I happen to know Greece rather well, I should like to say this: If the British Government made it perfectly clear that no financial or armed aid would be given unless certain things are done, then those things would be done extraordinarily promptly. Let us take a look at what has been happening recently. The Chief of the Greek general staff, General Spiliotopoulos, was a colonel in the ​ German gendarmerie throughout the German occupation; later, I am told by the Foreign Office that he became a British agent. I should like to know the date on which he became a British agent, because there are a great many politicians and generals in Greece who became British agents, to help us in 1943 and 1944 when the war had taken a turn. The men who are today being executed and victimised are the men who went into the mountains in 1941 and 1942 when our fortunes were at a low ebb. The Vice Premier of Greece, General Gonatas, has openly admitted that he recruited for the security battalions during the German occupation.

Yet General Bakerdjis, who received the D.S.O. in the last war for services to the Allied cause, and was recommended for decoration in this war, is exiled to the islands, and General Gonatas, the recruiter and supporter of the security battalions, announces to the world, as Vice Premier of Greece, General Bakerdjis' exile.

I would earnestly beg my friends on the Front Bench to believe that our present foreign policy in Greece is making more members of the Communist Party in Greece than ever Mr. Zachiarides has been able to recruit. In absolute despair, we are driving the Greeks into two camps, and I want to suggest what lies at the bottom of this policy. We hoped that when the Labour Government was elected a Labour Foreign Secretary would realise that the answer to Communism is not support of Fascism or near-Fascism, but is the creation, support and working of an active Socialism. The answer to Mr. Zachiarides is not King George or Mr. Tsaldaris: the answer to Communism in Greece is in the hands of Professor Svolos, Mr. Sofianopoulos and Mr. Tsirimokis and the other Liberals in Greece, who by reason of their associations with the Venizelos Party are our historical friends and allies. The answer and the alternative to Franco is not Juan but support of Senors Negrin and Giral. We hope that the Foreign Secretary would realise this, and it seems to me we are treading dangerously into a situation where we are not only continuing the foreign policy of the right hon. Gentleman the Member for Woodford (Mr. Churchill) but we are going back to the days of Mr. Neville Chamberlain.

Outre le rapport officiel dont la plus grande partie a été traduite ici, Lieberg a tenu un journal personnel et fait beaucoup de photographies notamment des gens dont il fit connaissance. C’est à ma connaissance un des rares témoignages documentés qui nous soit arrivé de la ville. J’essaye de retrouver les descendants des personnes qu’il mentionne et photographie pour croiser son témoignages avec les leurs. Toute aide sera la bienvenue.



Madame Coupa. Derrière elle, le mythique Hotel Méditerranée aujourd'hui détruit,où beaucoup de fêtes de mariages avaient lieu.


Jean Lieberg avec Monsieur Zannas, président de la Croix Roge grecque, Madame et Mademosielle Zannas. Au milieu Madame Elisa Riadis, d'origine belge, membre de la Croix Rouge grecque également qui déploya des efforts énergiques pour améliorer le sort des prisonniers de guerre britanniques. Elle était la belle-soeur du grand compositeur salonicien

Riadis dont elle remis les archives au conservatoire et pour lesquelles on peut entretenir les plus grandes craintes.



Vetta, la housekeeper de Jean Lieberg sur le balcon de l'immeuble. Elle regarde la manifestation sur la Paralia. Le bateau sabordé par les Allemands n'a pas encore été remorqué au large.



Iroula et Timo Triantaphyllides. Ce dernier représentait la firme suédoise SKF




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